Le karité, une chance pour l’industrie cosmétique burkinabé ?

[Africa Diligence] La filière karité a une importance socioéconomique non négligeable au Burkina : elle contribue aux recettes d’exportation (troisième produit d’exportation), procure des revenus aux femmes, participe au renforcement des liens sociaux entre les femmes au sein de leurs organisations.

En ce pluvieux mois de janvier 2018, on a vu fleurir sur les bus et abribus franciliens des affiches vantant une crème pour les mains, fabriquée à partir de noix de karité par un groupe cosmétique français. Avec un message: «L’Occitane est fière d’être partenaire de 10.000 productrices de beurre de karité au Burkina Faso». «Charity business» ou réalité? Géopolis Afrique a mené l’enquête.

Mais d’abord, qu’est-ce que le karité? Le terme désigne un «arbre (sapotacées), appelé aussi arbre à beurre», et sa noix, répond Le Petit Robert. Le fruit est notamment utilisé dans l’industrie cosmétique pour des produits de soins de la peau. Une utilisation qu’aurait connue, dit-on, la belle reine égyptienne Néfertiti… On le retrouve aussi dans l’industrie agroalimentaire où, mélangé à l’huile de palme, il sert de substitut au cacao.

Les arbres de karité poussent à l’état sauvage et mettent trente ans avant de produire des fruits. Autre difficulté: leur bois est un excellent combustible et ils sont «souvent abattus par des exploitants illicites» pour en faire du charbon, révèle le site de la BBC.

«Cet arbre est présent au quotidien pour les populations rurales qui le consomment comme matière grasse végétale dans diverses préparations», écrivait en 2012 le chercheur Tom Briaud dans un article mis en ligne sur le site de l’association Max Havelaar. Le beurre, issu de la noix, «est profondément ancré dans les habitudes et échanges des femmes rurales d’Afrique de l’Ouest», poursuit le chercheur. Le nom «karité» viendrait d’ailleurs d’un mot signifiant «vie» en langue mandingue.

Savoir-faire traditionnel

Le beurre est issu d’un savoir-faire traditionnel développé par les femmes, souvent regroupées en unions ou en coopératives. Une activité économique d’autant plus importante pour elles que «c’est l’une des seules» qu’elles peuvent exercer, explique Justine Humbert, responsable de la filière durable chez L’Occitane. «Elles restent maîtres de l’appareil productif, ce qui leur permet de toucher l’argent directement». Et d’en faire bénéficier leur entourage.

Avec le Mali, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo et le Nigeria, le Burkina Faso est l’un des principaux producteurs de noix de karité. Et un important exportateur. Au point qu’en 1994, le président Blaise Compaoré avait fait de la valorisation de ce produit l’une de ses «six priorités». Aujourd’hui, le marché reste porteur: selon l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), la demande pour la noix ouest-africaine a augmenté de… 1200% au cours de la dernière décennie. Une demande dopée par des consommateurs occidentaux, de plus en plus désireux d’acheter des produits présentés comme bios et naturels.

Et L’Occitane dans tout ça?

Dans ce contexte, on comprend mieux l’intérêt que le karité représente pour L’Occitane, qui affirme vendre «une crème main karité toutes les quatre secondes dans le monde». Et précise, sans plus de détails, que c’est son «bestseller» (vendu 8 euros le tube de 30 ml). Le groupe français de cosmétiques, fondé en 1976, emploie plus de 8300 personnes dans le monde. En 2016, il a réalisé un chiffre d’affaires de 1,28 milliard d’euros, plus de 92% à l’international. Son intérêt pour le karité aurait commencé au début des années 80 lors d’un voyage au Burkina de son fondateur, Olivier Baussan. À cette époque, son entreprise décide d’instituer un partenariat de «co-développement» avec des productrices sur place.

Aujourd’hui, L’Occitane est ainsi partenaire, au Burkina Faso, de cinq unions regroupant des collectrices de la noix et des productrices de beurre, qui font vivre 10.000 femmes. Ce chiffre est confirmé par Moussa Barro, représentant de l’ONG lyonnaise AVSF et assistant technique national du programme Equité, financé notamment par l’Agence française de développement. «En tout, 200.000 personnes sont impactées par nos commandes, sans parler des activités induites» (logistique, export…), estime Justine Humbert.

Ce partenariat assure chaque année à l’entreprise quelque 500 tonnes de beurre de karité, «produit sur place et de manière traditionnelle». Alors que dans la majorité des cas, le beurre est fabriqué industriellement en dehors du pays. Les unions sont assistées sur le terrain par trois représentants de L’Occitane, tous burkinabè.

Revenus réguliers et prix d’achat élevés

Première particularité du partenariat: «des contrats pluriannuels assurent des volumes et des revenus» réguliers aux unions de femmes, explique Justine Humbert.

 «Notre convention stipule que nous sommes chargés de vendre à L’Occitane au minimum 100 tonnes par an. Cela nous permet de faire des projets, contrairement à ce qui se passe avec des partenaires irréguliers», constate Bationon Bahiome, coordonnateur de l’Union des groupements féminins Ce Dwane Nyee. L’UGF-CDN travaille depuis 20 ans avec le groupe à qui il livre une grande partie de sa production.

Dans le même temps, chaque année, au moment de la récolte, «un comité des prix réunit une équipe de femmes, des représentants de L’Occitane et d’Ecocert (organisme de contrôle et de certification). Il décide un prix juste et équitable, supérieur à celui du marché», observe Françoise Naon, coordinatrice de la Fédération des unions d’actrices des produits du karité du Burkina Faso (Fuaproka). Laquelle travaille depuis plus de cinq ans avec L’Occitane avec qui elle réalise 90% de son chiffre d’affaires.

Dans les faits, «notre prix d’achat du beurre de karité est aujourd’hui deux fois plus élevé que le prix du marché conventionnel à l’export», précise Justine Humbert.

 «Effectivement, L’Occitane paye très bien. Ce prix d’achat peut être deux et demi, voire trois fois supérieur, au prix du marché. Cela dépend de la qualité et du type de beurre», observe Bationon Bahiome.

Mais il n’y a pas que le prix. «Neuf mois avant la fourniture de la commande, nous versons aux unions de femmes un préfinancement de 80%. Ce qui leur permet de disposer de la trésorerie nécessaire pour, notamment, payer la récolte des noix». «Cela nous évite d’aller en banque et de payer des intérêts», résume Françoise Naon. «Les banques offrent des taux inaccessibles et les conditions de prêt sont très difficiles», confirme Bationon Bahiome.

Equitable et bio

L’Occitane a placé son activité burkinabè dans une filière 100% équitable, attestée en 2009 par Ecocert. «L’entreprise assure un suivi du travail et nous accompagne. Elle nous fournit des formations en matière de qualité, de traçabilité, donne des conseils pour respecter la loi», raconte Françoise Naon. Un accompagnement confirmé par Bationon Bahiome. «La production de beurre est un travail dur pour les femmes. Grâce au partenariat, nous avons pu passer d’une méthode artisanale à une méthode semi-mécanisée», précise-t-il. Une méthode qui, en même temps, récupère les résidus pour en faire des briquettes de combustible. Et permet ainsi de réduire la consommation de bois de «60 à 70%».

Autre particularité: la filière sera totalement bio en 2018. Pour autant, le label bio n’est pas facile à mettre en place. Aussi, l’entreprise est-elle assistée dans sa démarche par l’ONG Rongead. «Les arbres de karité poussent souvent sur des parcelles où sont installées des cultures conventionnelles», raconte Justine Humbert. Se pose donc une thématique foncière, pour laquelle L’Occitane a reçu l’aide d’un spécialiste du droit coutumier local.

Dans le même temps, sa fondation d’entreprise «s’engage pour les femmes du Burkina Faso en dispensant des cours d’alphabétisation et des formations pour leur permettre de développer d’autres activités» que le karité, explique sa déléguée générale, Charlotte Jonchère. Des opérations pour lesquelles la fondation détache en permanence sur place un collaborateur, burkinabè lui aussi.

Conviction ou  «marketing?

 «Fière» de ces actions, selon le mot d’Adrien Geiger, directeur de marque, l’entreprise a donc décidé de le faire savoir par une campagne de pub dont elle ne dévoile pas le coût. Pourquoi maintenant, plus de 30 ans après le début de son intervention au Burkina? «Depuis le départ, nous faisons ce travail par conviction, pas par marketing. Mais nous avons été incités à en faire état en raison des réactions de gens s’étonnant que nous ne communiquions pas sur ce sujet. Alors, pour parler directement au consommateur, il fallait trouver une bonne manière. Nous avons profité du mois de janvier et de son climat hivernal pour lancer une campagne autour de notre crème main». Et d’ajouter: «Nous voulons montrer à nos clients qu’ils contribuent à un monde meilleur en achetant une crème chère, mais qui est la meilleure du monde!»

Dans ce contexte, certains penseront que la démarche de L’Occitane s’assimile à du «charity business» et du «greenwashing» («écoblanchiment» en bon français). «C’est le risque! Mais ces actions au Burkina sont l’ADN de notre marque. Jusque-là, nous sommes restés modestes», répond Charlotte Jonchère. Le groupe met par ailleurs en avant sa collaboration avec plusieurs ONG. Il précise que pour ces différentes actions au Burkina, il a été distingué en 2013 par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

De leur côté, les responsables burkinabè évoquent positivement l’action de L’Occitane. À l’Agence pour la promotion des exportations du Burkina Faso (Apex), on souligne notamment l’encadrement et les formations techniques que la société dispense. «C’est un partenariat gagnant-gagnant», explique Bationon Bahiome. Le représentant de l’UGF-CDN n’est-il pas influencé par le fait que le groupe français est l’un de ses plus gros clients…? «Si le partenaire est correct, je le dis. Ce n’est pas toujours le cas! Là, on peut discuter de nos problèmes. On échange, on se dit la vérité. Ce n’est pas un partenariat de soumission qui nous impose un monopole», répond-il. Et d’ajouter: «C’est un modèle qu’il faut développer.»

La Rédaction (avec Laurent Ribadeau Dumas)