Le tissu africain fait des merveilles à travers le monde

[Africa Diligence] Si la touche africaine est une valeur sûre, c’est grâce au wax, tissu imprimé coloré qui fait penser aux pagnes d’Afrique. Burberry fut la première maison de luxe à en faire le fil rouge d’une collection en 2011, suivi par Agnès b. Puis Zara lui ouvrit les placards du prêt-à-porter de masse. Depuis, il est devenu sinon un habitué du moins un clin d’œil récurrent des podiums mixant les couleurs et les cultures.

À dire vrai, le wax ou « tissu africain » ne l’est pas vraiment à l’origine. À la fin du XIXe siècle, les Anglais et les Hollandais ramènent de leur comptoir colonial javanais le secret du batik, tissu de coton imprimé à la cire des deux côtés, ce qui fixe les couleurs et le rend presque imperméable. Les Hollandais déclinent la technique sur des motifs aux couleurs vives, qui rappellent les cotonnades africaines traditionnelles. L’objectif est de séduire le marché subsaharien. Ces nouveaux produits sont rapidement adoptés par les élites ghanéennes, togolaises, béninoises, ils se répandent dans toute l’Afrique de l’Ouest et centrale. Sur ce commerce transcontinental, les manufactures néerlandaises construisent de véritables empires textiles, grâce à l’industrialisation du procédé. À l’image de P. F. van Vlissingen & Co., du nom de son propriétaire, aujourd’hui baptisée Vlisco, dont le siège est à Helmond (Pays-Bas).

Motifs floraux ou géométriques, représentations d’animaux, d’objets totems, le wax fait l’objet d’une appropriation culturelle africaine en devenant un langage à part entière. Chaque dessin a une signification, il est choisi pour une occasion précise. Lorsqu’une mère marie sa fille, son pagne arbore la fleur d’hibiscus, tandis qu’une impression d’optique symbolisant l’œil sert à avertir une rivale que son mari n’est pas à prendre. « C’est un code finalement assez exclusivement féminin, car même s’il est partout, l’homme n’y fait pas vraiment attention », nous raconte Anne Grosfilley, anthropologue et auteur du livre-somme Wax & Co., anthologie des tissus imprimés d’Afrique (éditions La Martinière).

Entré dans les usages vestimentaires, le wax est « devenu authentiquement africain, s’amuse-t-elle, puisqu’il est prisé d’un bout à l’autre du continent, aussi bien par les hommes que par les femmes de tous les âges. Il est le symbole d’une Afrique métissée, plutôt moderne, résultat des interactions avec l’Europe et l’Asie, mais aussi au sein du continent. » Il est également à l’origine de tout un secteur économique, avec l’émergence, à partir des années 40, des Nana Benz. Ces négociantes en tissus, redoutables femmes d’affaires, constituent une bourgeoisie commerçante dans les décennies 70 et 80, marquant la culture populaire. Elles affichent alors les mêmes signes de réussite que les hommes, d’où leur surnom, « Benz », tiré des Mercedes au volant desquelles elles sillonnent les routes. L’inénarrable Dédé Rose Creppy, une pionnière des Nana Benz, reste, à 80 ans passés, sur le marché de Lomé, au Togo, la doyenne d’un business essoufflé.

Car la concurrence de la production chinoise à bas coût a fini par écraser les fabriques tant européennes qu’africaines, lesquelles avaient essaimé dans le sillage des Nana Benz, et ont pour la plupart fermé. Vlisco, seule rescapée de la splendeur passée du wax hollandais, tente de maintenir quelques sociétés sœurs de son groupe sur le sol africain. Tandis que l’anglaise ABC Wax a déplacé sa ligne de production au Ghana en 2005. Les dernières manufactures authentiques doivent faire face à des imitations non autorisées de leurs dessins, véritable pillage de propriété intellectuelle. C’est aux irrégularités du tissu que l’on reconnaît un vrai wax hollandais, ou sa version luxe, plus épaisse, le « super wax ». Il se revend au détail dans chaque quartier africain des métropoles, insensible aux modes.

Si ce n’est que les créateurs se l’approprient désormais, entre hommage familial et liberté créative. Le couturier libano-ivoirien Elie Kuamé y taille les silhouettes échancrées de ses « hyper-femmes », ainsi qu’une collection pour les 170 ans du groupe Vlisco, l’an dernier. La Grecque Marie Katrantzou en fait des fourreaux de soirée, tandis que la maison néerlandaise Viktor & Rolf réinterprète Van Gogh façon pagne à travers des minirobes bouffantes aux épaules nues. En 2014, l’artiste Stromae et sa femme, la styliste Coralie Barbier, créent leur ligne de vêtement, Mosaert. Une série de capsules qui s’appuie sur le design wax pour mettre en musique des patrons anglais à la coupe juste, selon une fabrication « responsable » : de petites quantités produites en Europe, à partir de matériaux sains et traçables.

Au-delà de la mode ethnique

Démarche éthique comparable, en 2015 est créée Maison Château Rouge, ancrée dans le quartier éponyme du XVIIIe arrondissement de Paris, et derrière laquelle officie Youssouf Fofana, représentatif d’une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux. « Ce devait être une ligne éphémère, pour financer Les Oiseaux Migrateurs, notre projet de soutien aux entreprises africaines, notamment pour les aider à exporter leurs produits manufacturés. Face au succès de nos vêtements, on s’est finalement installés. » Travaillant uniquement des coupons Vlisco, la marque développe un style urbain, dans lequel le wax trouve naturellement sa place, car c’est dans l’adaptabilité que réside son pouvoir d’attraction. « Nous voulions avant tout être une marque parisienne, sortir de la mode ethnique à laquelle on réduit trop souvent le style africain », précise Youssouf Fofana. Et la recette fonctionne, puisque Maison Château Rouge est dans tous les cahiers de tendances des magazines de mode. Sa pièce en wax idéale ? « Notre ciré : parce qu’il se porte aussi bien avec un jean qu’une petite jupe, ça va à tout le monde ! »

Dans les collections printemps-été 2018, le wax confirme qu’il est désormais une tendance bien installée, mais les créateurs se le réapproprient et le métissent encore un peu plus. Chez la créatrice italienne Stella Jean (le chemisier rouge flamboyant de Beyoncé sur Instagram, c’était déjà elle), il épice en touches plus discrètes une jupe crayon mixée à un perfecto aubergine. Chez Stella McCartney, il se décline en camaïeu de verts pour des robes ultraféminines, amples et serrées à la taille, ou épaules nues, à volants, pour un effet princesse très premier degré. Les robes asymétriques de Dries Van Noten l’ont assagi, et les grandes chemises souples pour hommes, chez Balenciaga, l’interprètent façon années 1980. Le wax se détourne toujours bien.

La Rédaction (avec Laura-Mai Gaveriaux)