Pr KUM’A NDUMBE III sur le vol de la culture africaine

[Africa Diligence] Pour le Prince KUM’A NDUMBE III, Dr et Pr de philosophie, « arracher aux Africains tout support de mémoire individuelle et collective dans les domaines de la culture, de la spiritualité, de la pensée, de la cosmogonie, de la science, toutes disciplines scientifiques confondues (…) » participent d’une stratégie savamment orchestrée.

QUAND ON T’A VOLE TA CULTURE, ON T’A VOLE TON AME,
ET TE DEVELOPPER, EMERGER, DEVIENT UNE ILLUSION, UNE PERTE D’ENERGIE SANS FIN

I – Violence spirituelle, violence coloniale
Michel Leiris, célèbre écrivain et ethnologue français, en compagnie de Marcel Griaule, le non moins célèbre écrivain et ethnologue parisien, avait noté ceci dans son journal d’une expédition en Afrique:

« Griaule prend deux flûtes et les glisse dans ses bottes… Au village suivant, je repère une case de Kono à porte en ruine, je la montre à Griaule et le coup est décidé. […] Griaule décrète alors, et fait dire au chef de village par Mamadou Vad que, puisqu’on se moque décidément de nous, il faut en représailles, nous livrer le Kono en échange de 10 francs, sous peine que la police soi-disant cachée dans le camion prenne le chef et les notables du village pour les conduire à San où ils s’expliqueront devant l’administration [coloniale, ndlr]. Affreux chantage !… D’un geste théâtral, j’ai rendu le poulet au chef et maintenant, comme Makan vient de revenir avec sa bâche, Griaule et moi demandons que les hommes aillent chercher le Kono. Tout le monde refusant, nous y allons nous-mêmes, emballons l’objet saint dans la bâche et sortons comme des voleurs, cependant que le chef affolé s’enfuit et, à quelque distance, fait rentrer dans une case sa femme et ses enfants en les frappant à coups de bâton. Nous traversons le village, devenu complètement désert, et dans un silence de mort, nous arrivons aux véhicules… Les 10 francs sont donnés au chef et nous partons à la hâte, au milieu de l’ébahissement général et parés d’une auréole de démons ou de salauds particulièrement puissants et osés…

« Avant de quitter Dyabougou, visite du village et enlèvement d’un deuxième Kono que Griaule a repéré en s’introduisant subrepticement dans la case réservée. Mon cœur bat très fort, car, depuis le scandale d’hier, je perçois avec plus d’acuité l’énormité de ce que nous commettons…

« Griaule et moi regrettons que dans cette région il n’y ait plus de Kono. Mais pas pour les mêmes raisons; ce qui me pousse quant à moi, c’est l’idée de la profanation. »

Cette scène se passe le 6 septembre 1931 à Kémini, au Tchad, devant l’autel du Kono, fétiche sacré et centre de la vie religieuse du village. Le gouvernement français avait commandité par la loi du 31 mars 1931 une expédition dénommée „La Mission Dakar-Djibouti“ de 1931 à 1933, officiellement pour contrecarrer l’influence britannique et sauvegarder les intérêts politiques et économiques français en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est. Mais l’objectif réel est illustré par le résultat fort disant: Plus de 3.000 objets, 6.000 photographies, 1.600 mètres de films et 1.500 fiches manuscrites furent ramenés au Musée d’ethnographie du Trocadéro à Paris pour étudier à fond ces peuples africains et savoir comment mieux les maîtriser et les dominer. Michel Leiris qui décrit cette scène était le secrétaire-archiviste de l’expédition, et quand il publia ces méthodes consistant à voler l’âme des peuples africains, Marcel Griaule, le chef de l’expédition devenu spécialiste des Dogons, se sépara de lui.

Nous vivons seulement à quelques kilomètres de nos voisins tchadiens. Au Cameroun, le braquage des objets de culte et de spiritualité des Africains avait commencé avant que notre territoire ne devienne colonie ou tutelle d’une puissance européenne. Il a été effacé de notre mémoire que ce furent des pasteurs noirs venus de Jamaïque qui les premiers évangélisèrent en chrétiens notre cher pays, le Cameroun. Joseph Merrick, Alexander Fuller, et Prince, arrivent à Douala par le truchement de la Baptist Missionary Society, BMS le 6 novembre 1843, s’installèrent à Bimbia le 10 avril 1844 avec l’idée de faire partager un Evangile de libération et d’émancipation avec leurs compatriotes du Cameroun. Mais la Jamaïque nouvellement affranchie de la Grande Bretagne n’avait pas d’ambition coloniale au Cameroun, et les pasteurs noirs ne disposaient d’aucun budget autonome. A la mort de Merrick le 22 octobre 1849, l’ancien mécanicien de bateau, devenu aide-missionnaire, Alfred Saker, blanc, de nationalité britannique, sera confirmé comme pasteur missionnaire principal et résidera au Cameroun pendant trente et un an, de 1845 à 1876, secondé par la BMS, les consuls britanniques successifs et les bateaux de guerre de la Grande Bretagne. Sa mission principale: lutter sans merci contre la spiritualité et les coutumes camerounaises, afin de mieux apprivoiser ces populations et les préparer à la domination coloniale et spirituelle.

Un accord anglo-camerounais sera signé le 19 avril 1852 entre le Consul anglais John Beecroft, le Commandant en second du navire “Bloodhound”, John Waye, le missionnaire Alfred Saker d’une part, et King Bell d’autre part, interdisant les sacrifices humains lors des rites. Dans ce texte, on parle déjà de “coutumes barbares” , tout comme lors de l’accord du 8 juillet 1859, où le texte parlera de “coutume barbare et inhumaine” , contresigné par King Akwa, King Bell et le consul Hutchinson. Par contre, selon un autre accord du 29 avril 1852, les Anglais arrivent déjà à imposer la liberté de leur culte sur le territoire camerounais:

« 8. Entière protection sera accordée aux missionnaires ou ministres de l’Evangile, de quelque nation ou pays que ce soit, accomplissant leur vocation de propagateurs de la connaissance et des doctrines, et répandant les bienfaits de la civilisation dans le territoire du roi et des chefs de Cameroun … Ils ne seront ni empêchés, ni molestés dans leurs efforts pour enseigner les doctrines chrétiennes … les funérailles et sépultures des défunts ne devront être dérangées en aucune manière, sous aucun prétexte. »

Les sociétés secrètes camerounaises représentaient une entrave majeure à l’emprise européenne par l’évangélisation ou par la pénétration coloniale. Il fallait les supprimer. Déjà le 22 octobre 1879, les pasteurs européens pouvaient jubiler:

« Il existait une panoplie d’Isango (sociétés secrètes) à Bonabéri. Les plus importantes étaient le Djengu et le Mungi… Le Mungi était très respecté par les gens de Bonabéri… Le 22 octobre 1879, le chef Mikano’a Bulu (Green Joss) …les avait abolis. Après une grande palabre de tout le village, les ustensiles des Losango ont été rassemblés et engloutis dans le fleuve. Ainsi, une fois pour toutes, le service de Djengu et Mungi a été supprimé. C’était une victoire de l’Evangile qui a été annoncée à Bonabéri depuis plusieurs années par les missionnaires baptistes anglais avec beaucoup de peine et de patience. »

La menace punitive avait même été stipulée par les Anglais à l’endroit des rois de la côte, déjà en 1861 en ces termes:

« Le roi ou chef sera passible d’emprisonnement sur un des bateaux de Sa Majesté et d’être transféré à Fernando-Po. »

Donc emprisonnement et déportation, dans un accord contresigné entre King Priso Bell, King Akwa et le Consul britannique Richard F. Burton, en 1861, soit 23 ans avant la colonisation effective du Cameroun!

Nous comprenons donc facilement pourquoi les rois de la côte camerounaise, avant de signer tout accord de transfert de souveraineté avec le Reich allemand, exigent du Consul allemand Emil Schulze qu’il signe lui, d’abord, un prétraité le même 12 juillet 1884 qui engage le Reich allemand, prenant en compte cet aspect coutumier ou culturel:

« Nous ne voulons pas de modification dans notre façon de nous marier, nous devons continuer à nous marier comme jusqu’alors.
Personne n’a le droit de prendre la femme d’autrui par la force sous peine d’une lourde amende. »

Dans le traité que les rois, eux, signeront avec les commerçants allemands ce même 12 juillet 1884, il est stipulé en aliéna 5:

« 5. Que pendant les premiers temps d’une administration ici, nos coutumes seront respectées. »

II – Camps de concentration du génie africain: les musées ethnographiques en Occident

Or les Européens, dans leur stratégie collective de domination de l’Afrique au 19è siècle, n’avaient pas seulement crée de puissantes sociétés de géographie, mais mettaient sur pied des structures de collecte d’objets de spiritualité, de culture, d’objets scientifiques et technologique des peuples africains et asiatiques pour mieux les étudier et ainsi appréhender leur domination et soumission. C’est ainsi que naquit l’idée de musée ethnologique ou musée ethnographique. La Conférence de Berlin sur le partage de l’Afrique eut lieu du 15 novembre 1884 au 26 février 1885. Comme par hasard, les musées ethnographiques du premier colonisateur du Cameroun vont pousser comme des champignons : Munich, 1868, Leipzig 1869, Berlin 1873, Dresde 1876, Hambourg 1879, Stuttgart 1884, Fribourg 1895, Brème 1896, Cologne 1901, Francfort 1904 , prêts à recevoir ce que les conquêtes coloniales, les missionnaires et autres voyageurs vont ramener à la métropole. Le Musée ethnographique de Berlin est un bel exemple. Lors de sa création onze ans avant l’expédition coloniale sous Bismarck en 1873, il comptait 3.361 objets mais en 1914, il en avait déjà amassé 55.079 .

Le chiffre de ces objets au Musée ethnographique de Hambourg grimpa de 800 en 1884 à plus de 3.000 en 1904, Leipzig concurrençait Berlin à ce moment-là avec 30.000 butins africains . En 2014, plus de 500.000 objets ethnographiques, archéologiques et culturels venus d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, d’Australie et d’Océanie seront enregistrés dans ce musée de Berlin. Le Musée d’ethnographie du Trocadéro à Paris lui, verra le jour en 1878, donc six ans seulement avant la Conférence de Berlin.

Au Cameroun, les choses s’accélèreront encore pendant cette conférence sur le partage de l’Afrique. Lock Priso, Kum’a Mbape, ayant refusé de signer le fameux contrat de transfert de souveraineté, écrit au Consul allemand Max Buchner le 28 août 1884:

« Je vous prie de descendre ce drapeau… Personne ne nous a achetés… les Allemands nous causent beaucoup de tort et voudraient nous corrompre par beaucoup d’argent, nous leur avons dit non… je vous prie de nous laisser notre liberté et de ne pas apporter du désordre chez nous. »

Le Chef de la marine allemande, le chef d’escadre Knorr rapporte sa réaction:

« J’ai donné l’ordre de brûler Hickory Town (Bonabéri) parce que (le Consul) Dr. Buchner m’a appris que la tribu Hickory et surtout le chef Lock Priso était l’ennemi le plus puissant et le plus dynamique de la cause allemande au Cameroun et qu’il avait déjà amené les chefs Joss à se rebeller contre le traité de protection. »

Le Consul allemand Max Buchner rapporte lui-même son braquage du symbole spirituel, culturel et politique de Lock Priso en écrivant:

« 22 décembre (1884) – Le bateau de guerre « Olga » tire quelques grenades de ses lourds canons en direction de Hickory Town (Bonabéri), parce qu’on a cru y avoir décelé des ennemis. Puis de nouvelles manœuvres pour aller à terre. Le palais de Lock Priso (Kum’a Mbape) est mis à sac. Une belle image bien émouvante. Nous y mettons le feu. Mais j’ai demandé aux soldats de me laisser d’abord inspecter les différentes maisons à la recherche de curiosités ethnographiques. Mon butin le plus précieux, c’est une grande sculpture, la proue princière de la pirogue (Tangué) de Lock Priso qui devra aller à Munich. »

Dès l’instant du braquage, la destination du Tangué était clairement énoncée par le représentant officiel du Reich allemand sur la Côte du Cameroun.

A peine deux ans après ce braquage à Bonabéri, Max Buchner devient conservateur du Musée ethnographique de Munich où atterrit le Tangué de Kum’a Mbape. Max Buchner restera conservateur dans ce musée jusqu’en 1907, le Tangué y est toujours en otage jusqu’à ce jour de juin 2015, et je demande au gouvernement allemand de me rendre les armoiries royales du père de mon père, à moi et à notre famille.

La stratégie occidentale est donc claire: arracher aux Africains tout support de mémoire individuelle et collective dans les domaines de la culture, de la spiritualité, de la pensée, de la cosmogonie, de la science, toutes disciplines scientifiques confondues, laisser se succéder des générations entières convaincues que n’ayant rien inventé ni produit, les Africains doivent se tourner vers l’Occident pour espérer une survie quelque peu digne sur terre et attendre un jour le salut divin.

Les musées européens, ces prisons destinées à ensevelir dans des bunkers toute énergie des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Océanie afin de neutraliser leur possibilité d’action et leur capacité à libérer définitivement les peuples terrorisés et maîtrisés, vont s’illustrer dans une compétition de collecte aveugle d’objets définitivement arrachés à nos peuples. Le petit Musée d’outre-mer de Brème affiche en 2014 une collection de 1.400 objets provenant du Cameroun, sur les 20.000 objets africains. Additionnez tous ces trésors camerounais dans les musées ethnographiques et missionnaires d’Allemagne, de Suisse, de France, Grande-Bretagne, Belgique, Portugal, du Vatican, etc. et mesurez la structuration du génocide orchestré contre les peuples camerounais et africains. Aujourd’hui, en 2015, nos peuples n’ont définitivement pas accès à leur propre héritage. Ces musées dans une arrogance sans pareil s’arrogent le droit de l’universalisme, et arguent que notre héritage serait mieux gardé et sauvegardé chez eux, par eux, pour qu’ils les montrent au monde entier, sauf à nos peuples les plus concernés, qui n’auront pas la possibilité de se déplacer en Europe sans périr en haute mer.

Vous alignez les cercueils de nos enfants qui tentent de franchir vos frontières, et vous dites que vous mettez leur culture à la disposition des citoyens de ce monde, en les maintenant eux, dans l’exclusion ?

L’aspect peu connu demeure celui de crânes, squelettes et corps d’Africains demandés par ces mêmes musées, par des hôpitaux ou par des laboratoires médicaux européens. Dans plusieurs cas, il s’agissait de crânes d’Africains comme trophées de guerre à exhiber en Europe, comme ce fut le cas pour le Cameroun ou la Namibie. Le débat a commencé en Europe sur ce scandale d’organes humains africains pendant la colonisation, et la Namibie a obtenu en 2011 le premier rapatriement des crânes emportés lors du génocide allemand de 1904 contre les Hereros et les Namas . En mai 2010, le Chili a organisé le retour solennel d’ossements d’anciens Kaweskar ou Alakaluf ainsi transportés en Europe en 1881 pour servir dans les zoos humains, soit 129 ans après cette terrible humiliation. La Présidente Michelle Bachelet a publiquement présenté ses excuses au peuple Kaweskar. Le Cameroun n’a toujours pas réagi à la demande de militants allemands ayant découvert à Berlin des crânes camerounais de l’époque coloniale allemande.

Les zoos humains furent sensation lors des “expositions coloniales” dans toute l’Europe. Permettez que je vous cite cet extrait:

« Lors de l’exposition universelle de 1889 à Paris, – donc 4 ans seulement après la fameuse Conférence de Berlin – pendant six mois, ce sont plusieurs centaines d’Africains qui sont exhibés. Le village nègre représente l’attraction principale pour les 28 millions de visiteurs. Ces êtres humains sont perçus comme des objets authentiquement sauvages : « dans les arrières-rues des villages, derrière le sublime raffinement des pagodes et des palais (…) les ingénieux Français ont installé des colonies sauvages qu’ils tentent de civiliser. » Sur l’esplanade des Invalides près de quatre cents exhibés sont rassemblés dont Dinah Salifou, roi des Nalou-Baga de Basse-Guinée. La présence d’un roi africain dans cette sordide exhibition renforce l’humiliation des peuples vaincus. En marge de l’exposition, dix huit Angolais sont exhibés rue Laffitte à Paris par Aimé Gravier, ils sont considérés comme des bêtes : « On donne principalement aux Angolais du riz et un peu de viande : c’est le mets qu’ils préfèrent. »[2]. Au 62 quai de Billy (aujourd’hui Musée du Quai Branly), ce sont dix huit Accréens (Africains de la région d’Accra actuel Ghana) qui sont exhibés par l’hollandais Godefroi. Le gouvernement français du président Carnot assure lui-même le recrutement des exhibés provenant des colonies. Des pavillons sont déployés sur toute l’esplanade du Champ de Mars au pied de la tour Eiffel pour montrer des hommes provenant du Sénégal, d’Indochine, du Gabon, de Tahiti. Ces « pièces authentiques » sont consignées dans des villages ou pavillons coloniaux. Des Selk’man (Amérindiens provenant de l’Ile de la Terre de Feu) sont exhibés par Maurice Maître dans une cage, considérés comme des cannibales, on les alimente à certaines heures en leur lançant des morceaux de viande de cheval crue; plus tard ils sont emmenés à Londres au Westminster Aquarium. Cette exposition prend une dimension cruellement ironique quand on pense que l’exposition universelle de 1889 est censée symboliser les cent ans de liberté, d’égalité et de fraternité républicaines. La tour Eiffel fut réalisée spécialement pour cet évènement. »

Braquage en Afrique, embrigadement dans des bunkers occidentaux des trésors de la pensée, de la spiritualité et des arts africains, mise en jardins zoologiques des Africains dans le conscient et subconscient des Occidentaux et des Africains, trafic d’organes humains africains vers l’Europe, insécurisation de la personnalité de l’homme d’Afrique chez lui et partout ailleurs dans le monde, lavage systématique des cerveaux, remplissage de l’espace africain par des déchets de l’Occident, voici la stratégie à long terme pour faire des Africains des survivants égarés du génocide intellectuel et spirituel d’un 21è siècle de la mondialisation.

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les trésors africains avaient disparu des musées de Berlin. On les chercha en vain. Il fallut attendre 25 ans pour lever le mystère. L’Armée Rouge qui avait libéré Berlin en 1945 s’était emparé de ces trésors africains dans les musées de Berlin comme butins de guerre et les avait transportés discrètement à Leningrad, aujourd’hui rebaptisé St. Petersburg. Plus tard, en geste d’amitié, l’URSS rendit ces trésors africains à son alliée, la République Démocratique Allemande en 1970. La RDA installa cet héritage africain dans le Musée ethnographique de Leipzig. Après la réunification des deux Allemagnes, le Musée ethnographique de Berlin réclama au Musée de Leipzig sa « propriété africaine ». Le déménagement eut lieu. Aujourd’hui, Berlin a récupéré ses butins de guerre africains de la conquête coloniale et missionnaire. Pourquoi ces trésors de nos peuples ne sont-ils pas restés à St. Petersburg pour être montrés au monde, dans ce grand élan d’universalisme culturel? Pourquoi a-t-il fallu qu’ils rentrent à Berlin et non chez leurs propriétaires en Afrique?

III – Peuple d’Afrique : fais éclore ton génie pour un monde d’inventions et d’équilibre dans l’univers

Rendez aux Africains leurs objets de science, de spiritualité, de culture et d’art que vous enfermez dans vos bunkers énergétiques, ces camps de concentration du génie africain joliment dénommés musées. Vous êtes sans ignorer que vous ne pouvez pas exposer 3% de tous ces butins d’expéditions coloniales et missionnaires pendant toute une vie d’homme, le reste étant enfermé à perpétuité dans vos chambres obscures. L’Afrique profonde le signale au monde: nos énergies enfermées dans vos bunkers feront exploser vos ventres.

Mais nous, de l’Afrique profonde, savons que la stratégie de déshumanisation de nos peuples, la politique de terre brûlée scientifique, spirituelle et culturelle dressée contre les Africains sert des intérêts savamment articulés par l’élite la plus autorisée de l’Occident.

Rappelez-vous ce que Victor Hugo, ce célèbre écrivain français, avait proclamé en mai 1879:

« Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie, déserte, c’est la sauvagerie, mais elle ne se dérobe plus… Au dix neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme, au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra : Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes. Dieu donne l’Afrique à l’Europe. Prenez-la ! »

C’est ce Victor Hugo que le petit Camerounais qui entre à l’école en 2015 découvre comme tout premier écrivain dans son premier livre de lecture, « Mamadou et Binéta », et il devra réciter :

« Viens, j’ai des fruits d’or, j’ai des roses
J’en remplirai tes bras ;
Je te dirai des choses douces
Et peut-être tu souriras. »

25 poèmes d’auteurs français accompagneront l’apprentissage de la lecture du jeune Camerounais, complétés par 18 chansonnettes françaises. Aucun auteur camerounais ou africain, ne serait-ce que francophone, ne figure dans ce livre. En tout et pour tout, figurent dans « Mamadou et Binéta » 5 « proverbes indigènes », et non pas 5 « proverbes africains ». Ce livre d’un auteur français, A. Davesne, rédigé en février 1951 comme « Livre de lecture et de français à l’usage des écoles africaines » pour les « cours préparatoire 2è année », est toujours utilisé dans nos écoles camerounaises plus de soixante ans après, et plus de cinquante ans après les indépendances. La décolonisation intellectuelle et culturelle n’est pas encore passée par les livres qui forment le mental de nos enfants camerounais.

Lisez avec moi cette interdiction du 26 août 1909 signée de la main de l’assassin de Rudolf Duala Manga Bell, un certain chef de circonscription à Douala, nommé Röhm :

Communiqué
« Ces derniers temps, il s’est avéré que des correspondances sont adressées à la circonscription administrative en langue duala et en anglais. J’interdis toute correspondance envoyée en une langue autre que l’allemand. Je réitère qu’à partir de maintenant, toute correspondance envoyée en une autre langue ou en un mauvais allemand ne sera pas traitée.« 

Interdiction d’écrire, de penser, de construire le monde dans notre langue, à partir de nos fondamentaux culturels. Cela dure donc depuis cent six ans. La richesse linguistique de nos peuples a été transformée par d’autres en pauvreté d’outil d’évolution, de multilingue inné, on a forcé l’Africain colonisé et néo-colonisé dans un monolinguisme étranger à sa culture profonde, ou on le formate comme au Cameroun en un bilingue euro-centré, recolonisant de manière extrême son mental et son vécu quotidien.

Et nous attendons que nos enfants qui par là sont fiers d’utiliser exclusivement les langues de l’ex-colonie et qui déclassent leurs langues camerounaises en patois sans valeur, ces enfants dont les repères fondamentaux ont été transférés de force hors du continent, oui, nous attendons de ces enfants, fers de la nation, qu’un jour ils développent notre pays et soient capables d’émergence ?

Quand on t’a volé ta culture, on t’a volé ton âme, et te développer, émerger, devient une illusion, une perte d’énergie sans fin.

Lève-toi, et revendique l’essence de ton être. L’avenir du peuple africain réside essentiellement dans la récupération de sa mémoire et dans l’innovation de sa culture. C’est la base fondamentale pour l’économie, le droit, la politique, la technologie, le développement et l’émergence. Peuple d’Afrique, acquiert d’abord les fondamentaux de l’existence, consolide les racines de tes profondeurs et fais éclore ton génie pour un monde d’inventions et d’équilibre dans l’univers. Alors, tu dialogueras souverainement avec les autres. Tu contribueras à jeter des bases solides pour une paix durable entre les nations et entre les peuples. Nous, l’humanité moderne, t’en serons très reconnaissants.

Le texte « Quand on t’a volé ta culture, on t’a volé ton âme, et te développer, émerger, devient une illusion, une perte d’énergie sans fin » a été présenté par Prince Kum’a Ndumbe III, Prof. Dr. Dr. Phil. Habil. (Emeritus) lors du colloque du Cerdotola des 18 au 21 juin 2015 à Yaoundé. (c) Fondation AfricAvenir International