Sankara, le rêve ajourné d’une Afrique libre et compétitive

Capitaine Thomas Sankara, 38 ans, Président du Burkina Faso, assassiné à 16h le 15 Octobre 1987 à Ouagadougou, est le père naturel de l’intelligence stratégique africaine. 21 ans après la disparition du leader révolutionnaire, le continent noir n’a toujours pas trouvé un stratège de sa trempe. Le rêve d’une Afrique libre et compétitive dans le concert des nations est donc ajourné. Sine die.

Lorsqu’il accède au pouvoir le 4 août 1983, Sankara a déjà diagnostiqué, analysé la situation du continent et de son peuple. Très vite, sa stratégie révolutionnaire passe de la théorie à l’action. La Haute-Volta (nom de son pays à l’époque coloniale) devient Burkina Faso (le « pays des hommes intègres »). Le train de vie du gouvernement baisse (Le chef de l’Etat roule en Renault 5 ). La politique des institutions financières internationales de Bretton Woods en Afrique est démasquée. Les procès pour corruption sont radiodiffusés. L’excision des femmes est bannie et leur participation à la vie politique encouragée. Plusieurs écoles et institutions hospitalières voient le jour. Des millions d’arbres sont plantées pour faire barrage au Sahel. Les impôts agricoles sont supprimés. Les Burkinabès sont incités à produire et « consommer burkinabè»… En 4 ans de règne, le train de vie des citoyens s’est amélioré. Panafricaniste et tiers-mondiste, Sankara plaide la cause des plus pauvres à l’OUA comme aux Nations Unies et exige que l’Afrique soit libre pour pouvoir être compétitive à son rythme, avec ses propres valeurs. Mais le succès de ce jeune leader  charismatique ne fait pas les affaires des puissances prédatrices. Il faut le neutraliser avant qu’il n’aille plus loin et ne devienne particulièrement contagieux.

L’analyse des traitements de chocs activés dans le cadre des stratégies de puissance ciblant un ennemi ou une chasse gardée en phase d’émancipation révèle un mode opératoire en 2 étapes: une phase de destruction et une phase de reconstruction, ayant chacune trois objectifs. Ce schéma a été appliqué dans l’opération d’élimination de Sankara, avec de lourdes conséquences pour l’Afrique.

Pour détruire, il faut nécessairement:

1. Décapiter le mouvement d’émancipation en faisant supprimer son leader (de préférence par ses proches). Cf: Patrice Lumumba, Steve Biko, Ruben Um Nyobe…;

2. Disperser, puis opposer les énergies fédérées par le leader disparu;

3. Dissuader durablement toute initiative semblable à celle du leader supprimé.

Il est aisé d’observer l’effet anesthésiant de cette stratégie de la violence aux Etats-Unis où certains Africains-Américains veulent s’abstenir de voter pour Barack Obama de peur qu’il ne soit assassiné à l’instar d’autres leaders Noirs avant lui, Martin Luther King ou Malcom X… Comme si les partisans de McCain avaient oublié que Abraham Lincoln et John Kennedy furent, eux aussi, brutalement neutralisés…

Pour reconstruire, le suzerain doit :

1. Remplacer le leader supprimé par son bourreau ou un frère-ennemi;

2. Assurer à ce dernier, impunité, sécurité et longévité au pouvoir;

3. Obtenir en échange un vassal absolu à la tête d’un pays satellite.

A quelques nuances près, c’est dans cette ténébreuse situation que se trouve la majorité des pays africains, un quart de siècle après la révolution sankariste.

Mais au bout de 21 ans de cris et de lamentations, continuer à pleurer sur la mémoire de ce vaillant combattant, c’est donner force et raison à l’adversaire, c’est continuer de diffuser le poison de la peur qui gît dans son assassinat. Il faut plutôt poursuivre son combat. Car si le fils des « hommes intègres » revenait, nous serions bien confus de confesser que nous n’avons fructifié aucun de ses talents, lui qui donna sa vie pour sauver l’Afrique. Il savait que celui qui le trahirait partageait sa table et ne se déroba pas. De même que lors de son arrestation, Jésus demanda à Pierre de ranger son épée, de même Sankara demanda-t-il à ses gardes, au moment fatidique, de laisser faire : « C’est moi qu’ils veulent ! » Il sera exécuté quelques minutes plus tard à l’arme automatique. Voilà pourquoi le sankarisme apparaît comme un christianisme du développement. Un modèle de sacrifice, d’amour et d’espérance. 

Guy Gweth

Ouvrages consacrés au Capitaine Thomas Sankara