L’Entreprise africaine et la veille concurentielle

 

Une étude menée par Leger Marketing entre le 23 mai et le 2 juin 2008 pour le compte de SAS  Canada révèle que 59% des managers québécois sont victimes d’overdose informationnelle. En adaptant qualitativement la même méthodologie de sondage aux six pays de zone Cemac, GwethMarshall C° est arrivé le 11 septembre 2008 à des résultats diamétralement opposés à ceux des collègues  canadiens : 6/10 responsables africains occupant un poste de cadre supérieur manquent « d’informations sûres ».

Pis, alors qu’au Québec 49 % de decision-makers interrogés affirment que leur « entreprise utilise actuellement un logiciel d’intelligence d’affaires pour analyser ses données« , notre échantillon (de 624 managers ) prélevé  au Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad révèle que le taux de pénétration de l’activité de veille stratégique y est inférieur à 2.5%. Autant dire insignifiant!

Je veille donc je suis

La veille est une activité qui consiste à recueillir avec objectif, méthode et rapidité toute information pouvant constituer un renseignement utile à la prise de décision. Elle peut s’opérer par le biais d’interviews de personnes ressources (internes et externes à l’organisation), de l’internet, des banques de données, de la presse écrite et audio-visuelle, de la participation aux salons, des publications scientifiques ou de bilans annuels… Une amie de BMCE dont on taira le nom ici me rapportait récemment, sur le ton de la confidence, que depuis qu’un centre de veille stratégique est testé au sein de la Banque Marocaine du Commerce Extérieur, la direction est plus confiante et le management encore plus fluide. « C’est comme conduire avec une direction assistée », m’a avoué cette source. Il est clair que lorsqu’elle est menée avec des outils de pointe pour atteindre des objectifs précis, la veille permet efficacement de détecter les menaces et opportunités, de prévoir les changements futurs, de dénicher, d’anticiper ou contrecarrer de nouveaux entrants… C’est vraiment de la « direction assistée ».

Veiller ou ne pas être

Le jour où, analysant ses rapports d’étonnement, nous avons appris à Rebecca S., Pd-g d’une société commercialisation de jus de fruits naturels à Malabo, Guinée Equatoriale, que son principal concurrent venait de changer de fournisseur et que la compétition allait désormais se jouer sur les marges , ce manager de 47 ans révisa son plan de développement pour les 18 prochains mois, afin de répondre à la menace . Aujourd’hui, Rebecca reconnaît avec un sourire en coin que si elle n’avait pas été alertée, son « entreprise y serait passée« , ainsi que sa douzaine d’employés qui ont depuis appris à s’étonner et à consigner leurs impressions dans un registre spécial en scrutant leur environnement… C’est encore elle qui m’a révélé le weekend dernier que grâce à la veille (devenue un sport chez ses salariés), toute son équipe se sent plus impliquée, co-responsable et davantage concernée par la sécurité et l’avenir de l’entreprise.

Management sans veille n’est que ruine de l’âme

Lorsqu’en 2003 on a créé l’agence Interconsult Cameroon, j’avais l’orgueil et l’assurance de penser que nous détenions l’une des meilleures équipes de Yaoundé. A l’époque, avec nos trois brillants consultants permanents, une dizaine d’externes et deux assistants dévoués de jour comme de nuit, nous aurions décroché la lune, tant nous étions soudés et motivés. La tête baissée sur nos dossiers, notre principal client était « le centre du monde » . Alors que nous étions sur une courbe exponentielle, l’imprévu s’abattit sur l’agence : la concurrence démarcha deux consultants qui, malgré leur attachement quittèrent le bateau, ce que je dus me résoudre à comprendre. Mais le pire fut de voir notre principal client réduire ses commandes avec le départ d’une partie de l’équipe chez  notre concurrent direct. Suffisant et prétentieux, je n’avais rien vu venir.

Pour ne pas conclure, les decision-makers de la zone Cemac déjà aux prises avec la concurrence étrangère et la conjoncture locale devraient méditer cette lumineuse leçon de  management stratégique que résuma  ainsi Honoré de Balzac in Eugénie Grandet en 1833 déjà ! :«Tout pouvoir humain est un composé de patience et de temps. Les gens puissants veulent et veillent.»

Guy Gweth