Un ancien de SGS Mauritanie chasse les fortunes africaines

[Africa Diligence] Ancien de SGS en Mauritanie, Nicolas Pyrgos a lancé Emeraude Suisse Capital en 2012. A l’heure où les banques cherchent de nouveaux débouchés dans les pays émergents, ce fils de diplomate, détenteur d’une licence en relations internationales, et féru de géopolitique s’occupe de quelque 80 clients résidants africains. Interview

Pourquoi avez-vous créé votre propre société ?

Nicolas Pyrgos : Afin de pouvoir servir correctement mes clients et leur offrir tous les services financiers dont ils ont besoin. Suite à la crise des subprimes, les grandes banques ont décidé d’arrêter tout ce qui est considéré comme risqué. Que ce soit des produits financiers mais aussi des marchés émergents comme l’Afrique. Il était devenu impossible pour nous de développer notre business. Par ailleurs, le modèle d’affaires des banques privées ne correspond pas aux besoins des marchés émergents. Un client africain, par exemple, n’a pas besoin qu’on lui promette 5% de rendement annuel. Il fait déjà une marge bénéficiaire très importante rien qu’avec son entreprise. Ce qu’il veut en revanche, c’est pouvoir utiliser les services classiques d’une banque, trafic des paiements, financement du négoce des matières premières et, éventuellement, banque d’Investissement. La gestion de fortune n’intervient qu’après, c’est l’aboutissement du processus.

Les banques sont-elles frileuses quand on leur parle de clientèle africaine ?

Depuis que les Etats-Unis ont tapé du poing sur la table, les banques suisses ont peur et tendance à mettre tout le monde dans le même panier. Avec l’Afrique, en plus, il y a le passé et plus particulièrement le scandale des fonds Abacha, ce dictateur nigérien qui, il y a une vingtaine d’années, avait caché 3 milliards de francs dans 25 banques en Suisse. Aujourd’hui encore certains patrons d’établissements ont peur dès qu’on leur évoque l’Afrique. Alors bien sûr il y a des baroudeurs, des types louches. Mais pas plus qu’ailleurs.

Il y a quand même des cas importants de corruption en Afrique…

Bien sûr qu’il y a des cas de mauvaise gouvernance et de corruption. Mais la majorité des entrepreneurs africains ont réussi à créer de la richesse sans s’accaparer le bien d’autrui ou celui de l’Etat.

Comment vous assurez-vous que l’argent de vos clients est propre ?

La première chose est de faire preuve de bon sens. J’ai vécu deux ans en Mauritanie et au Sénégal où j’ai travaillé pour la Société Générale de Surveillance (SGS) et baigné dans le monde des affaires locales. Depuis 2006 je me rends au moins cinq fois par année en Afrique, et je visite à chaque fois entre trois et quatre pays différents. Pareil pour ma collègue Magali Vanrumbeke. Si bien que nous avons maintenant notre petit cercle qui nous renseigne. A côté de cela, nous lisons la presse spécialisée et nous nous tenons informés du climat d’un pays, que ce soit au niveau géopolitique ou économique. De cette manière, nous évitons les grands pièges. Ensuite, nous devons remplir des rapports KYC pour chacun de nos clients. Des rapports contrôlés par l’organisme d’autorégulation des gérants indépendants auquel nous sommes affiliés, l’ASG, bras armé de la Finma. Maintenant nul n’est infaillible, mais nous essayons toujours d’avoir le maximum d’informations sur nos clients, de faire le tri en amont.

Vous arrive-t-il de refuser un client ?

Cela arrive de temps en temps. Mais en règle générale nous nous rendons compte assez rapidement si un client est crédible ou non. Surtout, on refuse toutes les personnes politiquement exposées. Un autre garde-fou est de vérifier ce qui se passe pendant la durée de vie du compte; les entrées de fonds, les sorties de fonds, qui paie, qui reçoit l’argent. Le jour où un client fait un paiement bizarre sans explication on se séparera de lui.

Avec la croissance que connaît le continent, sentez-vous un regain d’intérêt pour la clientèle africaine ?

Oui mais pas pour les raisons que vous croyez. S’il y a une évolution c’est parce qu’avec la chasse aux clients non-déclarés lancée en Europe, les banques doivent trouver d’autres sources de clients. Du coup, il y a un regain d’intérêt pour ceux issus des marchés émergents. Les banques s’intéressent désormais à l’entame qu’elle considérait auparavant comme trop marginale.

Quels types de services offrez-vous à vos clients ?

Nous agissons comme conseiller financier global, nous les aidons à structurer leurs affaires et les conseillons dans leurs investissements. Nous faisons de la gestion de fortune. En fin de compte, nous essayons d’être le point d’entrée financier pour les clients. L’avantage pour eux est que nous travaillons avec des banques en Suisse, à Londres, au Luxembourg, ou encore à Singapour et à Hongkong. Nous sommes finalement une sorte de mini «family office» pour des clients qui n’en auraient pas forcément les moyens. Nous étudions également la possibilité de distribuer certains fonds d’investissement intéressants à l’avenir.

Qui sont vos clients ?

Premièrement nous avons les autodidactes, ceux qui font des affaires depuis 40 ou 50 ans avec un flair incroyable. Ensuite nous avons les Africains de bonne famille qui ont eu la chance d’avoir des parents qui leur ont payé de bonnes études, généralement en Europe ou aux Etats-Unis, et qui sont rentrés chez eux avec pleins d’idées et beaucoup de moyens. Enfin il y a ceux qui sont issus des grandes diasporas, tels que les Libanais en Afrique de l’Ouest ou les Indo-Pakistanais que l’on retrouve sur la côte Est. Il y a aussi des Européens qui font des affaires sur le continent et qui y vivent.

Combien de pays couvrez-vous ?

Une quinzaine, principalement des Etats francophones d’Afrique subsaharienne. Les pays africains les plus importants en termes de gestion de fortune sont aujourd’hui l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc, l’Égypte et le Kenya. Chez Emeraude Suisse Capital nous avons fait le pari d’aller sur des marchés moins compétitifs, plus difficile d’accès mais où les affaires fonctionnent bien une fois que vous êtes lancés.

Vous avez des exemples en tête ?

Nous sommes très intéressés par la République démocratique du Congo, l’Angola aussi qui est un marché compliqué mais très prometteur. Sinon nous connaissons bien le Sénégal, la Cote d’ivoire, le Cameroun, le Burkina Faso, le Gabon, la Guinée Conakry, le Ghana un peu le Nigeria et la Guinée équatoriale. Nous fonctionnons avec notre réseau de contacts qui s’est créé au fil des années. Des membres de la famille, des partenaires économiques qui se refilent les tuyaux les uns aux autres.

Qu’est-ce qui différencie la clientèle africaine ?

Les résidents africains ont avant tout besoin de quelqu’un qui les comprenne et qui les écoute. Quelqu’un qui leur donne du crédit, qui connaisse leur environnement et qui vienne les voir régulièrement sur place. Ils ont aussi besoin de solutions globales et de pouvoir vous faire confiance. La société africaine n’est pas aussi efficiente que la nôtre, si bien que les Africains sont méfiants de nature. Ils peuvent vous tester sur un simple transfert d’argent, regarder si ça prend du temps et si la commission est élevée. Enfin ils veulent de la discrétion, montrer qu’on a de l’argent peut-être dangereux, il peut y avoir des rackets et des enlèvements.

Cherchent-ils aussi à cacher leur argent au fisc ?

Ces gens n’ont rien à cacher. S’ils ont des comptes en Suisse c’est parce que le système bancaire en Afrique est mal outillé, très cher, et que les banques africaines ne sont pas capables de faire des lettres de crédit ou des garanties satisfaisantes aux yeux des grandes banques internationales. Par ailleurs, ceux qui font des affaires ont souvent besoin de comptes en dollars ou en euros. Et puis ils ont peur des dévaluations potentielles.

La carte suisse est-elle vendeuse en Afrique ?

Bien sûr! La Suisse est perçue comme un pays stable et prospère avec un vrai savoir-faire bancaire et une notion du service, de la discrétion et de l’excellence. Les banques suisses jouissent d’une excellente image et une très bonne réputation. De plus, les Africains ont, pour certains, toujours une dent contre les anciennes puissances colonisatrices, que ce soit la France ou l’Angleterre. Si vous êtes Suisse par contre, vous êtes neutres.

Vos clients aiment-ils venir en Suisse ?

La plupart viennent car ce sont des hommes d’affaires aguerris. Et puis ceux qui travaillent dans les matières premières passent souvent par Genève. Par contre, ils apprécieront toujours énormément qu’on leur rende visite en Afrique. Ils ont ce sens de l’hospitalité que l’on ne retrouve plus chez nous. C’est une question de respect. Et ça les flatte. Je dois passer parfois quatre jours avec un client, matin, midi et soir. Je le fais avec grand plaisir! La base de mon métier c’est les relations humaines, et mes clients le ressentent fortement et apprécient cette chaleur humaine. C’est comme cela seulement que l’on peut faire des affaires en Afrique.

(Avec Knowdys Database, Le Temps et Emeraude Suisse Capital)