Une taupe dans le dispositif d’intelligence économique

L’affaire d’espionnage industriel qui a récemment opposé Renault à l’hebdomadaire automobile Auto Plus révèle un type de menaces informationnelles que les responsables de l’intelligence économique (IE) préfèrent souvent occulter: l’existence de taupes au sein de l’entreprise, voire au cœur du dispositif d’IE. Il s’agit d’un fait grave; et non du simple jus de cerveau d’analyste.

Plus qu’un péché par omission

Même dans son manuel de référence L’intelligence économique, la comprendre, l’implanter, l’utiliser paru aux éditions de l’organisation en 2006 (l’un des meilleurs et des plus complets de la zone francophone à mon avis), François Jakobiak disserte assez peu sur les cas de trahison interne au sein de l’entreprise. Par sécurité psychologique plus que par omission, la communauté de l’IE s’est jusqu’ici contentée de penser que les menaces informationnelles viennent de l’extérieur (la concurrence, l’Etat, la société civile…) et un peu moins de l’intérieur de l’entreprise (défaillance technique, négligence, erreur ou trahison). Pourtant, telles des jumelles qui partagent tout ou presque, les dispositifs d’intelligence compétitive doivent désormais faire face à l’existence d’espions ou de taupes dans la maison, au même titre que les services de Renseignement classiques.

Les candidats potentiels à la félonie

Comme dans les Services donc, la taupe d’entreprise se recrute dans le vivier de la concurrence la plus ardue, de préférence chez le leader du secteur ou le concurrent direct ayant le budget le plus consistant en recherche et développement. Homme ou femme, la taupe d’entreprise est quelqu’un de brillant, ayant une parfaite maîtrise de ses dossiers, généralement hors de tout soupçon et sociable à souhait. Un ange polyglotte. Travaillant au cœur névralgique de l’entreprise, il occupe souvent d’importantes fonctions à la direction de la stratégie, de la R&D, de la SSI ou de l’innovation. Cependant, l’informateur se recrute aussi aisément auprès des services d’hygiène et de sécurité de l’entreprise, parmi les stagiaires, les intérimaires, les chasseurs de têtes ou des journalistes attitrés. Tout est fonction du but et de la faille détectée par l’officier traitant. Mais la plus astucieuse des approches demeure sans doute le recrutement d’une taupe au sein de la cellule de veille ou d’intelligence économique du concurrent.

Pourquoi on trahit son entreprise

Dans la communauté de l’intelligence économique comme dans celle du Renseignement classique, sept mobiles ont été répertoriés qui peuvent pousser un agent, un cadre ou un associé à distraire des informations stratégiques à son entreprise pour les refiler à la concurrence ou à la presse :

1- l’argent;

2- le sexe;

3- le pouvoir;

4- l’orgueil;

5- la frustration;

6- l’idéologie;

7- le chantage.

Une liste qui, a priori, intéresse l’ensemble du personnel. Et c’est tant mieux.  Toutefois, pour être efficace, il convient de la resserrer grâce au profiling individualisé et périodique des sujets à risque.

Quelles solutions  pour prévenir et/ou retourner ?

Cette question convoque en prime la taille de l’entreprise ainsi que son dispositif d’intelligence économique. Mais dans tous les cas de figure et sans entrer dans le détail, la DRH accentuera en amont le profiling et les enquêtes préalables à l’embauche d’un candidat dans un secteur classé sensible ou pour un stage. Par la suite, hormis les tâches de surveillance traditionnellement dévolues aux pôles de veille et IE, la direction devra instaurer un suivi personnalisé des postes névralgiques aux fins de noter et sonder des changements éventuels dans le comportement et la vie quotidienne de la cible, bien entendu, dans le respect de l’éthique et de la légalité. Non à la compagnie policière!

L’instauration d’un climat de bonne intelligence par le biais du dialogue (Intranet, machine à café, tête-à-tête) et des relations publiques internes permettra par exemple de mettre les sujets en confiance et ainsi de pouvoir poser des questions déjà soulevées dans un dossier précédent ou pendant l’entretien d’embauche, sans éveiller l’attention. L’objectif est de déceler si le salarié varie dans ses réponses. Ou simplement s’il se sent valorisé, reconnu et respecté au sein de l’entreprise. Une veille constante chez soi comme sur la concurrence.

Guy Gweth, Conseil en intelligence économique et stratégique chez GwethMarshall Consulting