Union économique: pourquoi l’Afrique se hâte lentement

(Africa Diligence) Tout le monde en parle, mais elle se fait désirer : l’intégration africaine progresse, mais sans réel impact décisif sur l’économie des pays. C’est ce qu’affirme la Cnuced, dans son Rapport sur le développement économique en Afrique publié cet été.

Des vendeurs béninois d’essence s’approvisionnent au Nigeria. Des pêcheurs sénégalais entrent dans les eaux mauritaniennes. Des candidats subsahariens à la migration s’installent au Maghreb. Des réfugiés d’Afrique centrale enseignent le français en Tanzanie. Pourtant, le Rapport sur le développement économique en Afrique 2009, publié, en anglais, cet été par la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) estime que l’intégration économique des pays africains entre eux est insuffisante…

C‘est la crise mondiale actuelle qui a poussé cette institution internationale, créée en 1964 par et pour les pays en développement, à revenir sur cette question déjà ancienne de l’intégration régionale, censée « répondre aux faiblesses récurrentes et structurelles des économies africaines ». Les exportations entre pays africains ne représentent en effet que 9 % des exportations totales du continent, soit le taux mondial le plus faible (Amérique latine : 18,5% ; Europe : 71,4%). Même l’ajout des échanges informels, par nature non chiffrables, ne modifierait pas ce constat. Certes, précise la Cnuced, « des progrès ont été réalisés dans la création de communautés économiques sous-régionales ». La Cemac, en Afrique centrale, a avancé vers une union monétaire et douanière. Le Comesa, en Afrique orientale et australe, a simplifié ses procédures douanières. L’Ecowas, en Afrique de l’Est, progresse vers des politiques économiques communes.

Mais ces avancées n’aboutissent pas à la hausse espérée des échanges commerciaux, des investissements et de la mobilité des personnes. Les marchés africains restent plus fragmentés qu’ailleurs, selon le rapport, qui ajoute cependant que les potentialités sont importantes. Actuellement, déjà, 20 pays envoient au moins un quart de leurs exportations vers le marché régional. Et les produits manufacturés y occupent une place importante (plus de 40 %), alors que les exportations vers le reste du monde sont composées à 80 % de matières premières. Le commerce intra-régional peut donc constituer un pôle de développement industriel et de diversification, affirme la Cnuced.

Bureaucratie…

Le rapport avance des explications. Certaines sont d’ordre économique, d’autres institutionnelles. Un certain nombre de ces pays produisent les mêmes biens, ce qui ne favorise pas la complémentarité. Ils sont aussi de tailles différentes, ce qui a abouti dans le passé à concentrer les bénéfices des échanges dans quelques pays (Nigeria, Côte d’Ivoire, Sénégal). L’intégration en est devenue d’autant moins attirante pour les autres. La Cnuced relève aussi que certains pays ont eu des politiques délibérément orientées vers les marchés internes plutôt que vers les exportations. A l’inverse, d’autres restent très dépendants de l’exportation des matières premières, ce qui oriente leur commerce principalement vers le reste du monde. Les obstacles institutionnels résident dans « les entraves bureaucratiques et physiques, comme l’encombrement des routes, les taxes de trafic et les délais administratifs aux frontières et dans les ports. Ces entraves augmentent les coûts de transport et rendent les livraisons incertaines ».

Bien sûr, la Cnuced propose des pistes comme la construction ou l’aménagement des infrastructures matérielles régionales : les routes (goudronner celle reliant le Mali au Sénégal quadruplerait les échanges), les chemins de fer, les compagnies aériennes…Comme l’harmonisation des politiques commerciales, l’allègement des procédures douanières ou le développement du secteur des services (logistique, tourisme, construction…), présenté comme « clé du succès ».

Une question de pouvoir…

Mais rien de cela n’est nouveau. L’intégration était déjà un objectif de la création de l’OUA en 1963. Certaines idées sont avancées depuis plusieurs décennies. Alors pourquoi n’ont-elles pas suffisamment abouti ? M. Talla Fall, chargé d’affaires à l’ambassade du Sénégal auprès de l’Union européenne à Bruxelles estime qu’à côté d’indéniables facteurs extérieurs à l’Afrique, comme les pressions économiques internationales, des causes internes jouent un rôle de frein. Dont le fait que « peu de pays renoncent à des pans de leur souveraineté. On n’a pas encore atteint le niveau où les élites nationales acceptent toutes les conséquences de l’intégration. Les droits de douane, par exemple, représentent une bonne part des recettes fiscales des pays. » Cela dit, précise-t-il, des progrès ont malgré tout été réalisés, mais plus sur le terrain politique qu’économique.

Un spécialiste des pays ACP, dont la fonction requiert l’anonymat, pointe, lui, la complexité des institutions d’intégration. « À un moment donné, l’Uemoa et la Cedeao se sont tiré dans les pattes. Cela a bridé les efforts d’intégration et entraîné de l’incohérence. Beaucoup de pays exportateurs commettent aussi l’erreur de viser le marché international et pas assez les marchés régionaux. » Les obstacles sont aussi politiques, confirme-t-il : pas tellement les lenteurs aux frontières, qui relèvent de règles qu’il appelle pudiquement « non écrites », mais parce que « dans nos États jeunes et fragiles, nous en sommes restés à une notion classique de la souveraineté. C’est aussi notre rapport au pouvoir qui est en jeu. Et l’Afrique n’a plus de visionnaires… » Cela ne doit cependant pas occulter les avancées réelles, précise-t-il, avant de conclure que de toute façon, « l’intégration régionale est un facteur incontournable dans le commerce mondial ».

André LINARD