Pour une stratégie panafricaine d’intelligence économique

Ce texte est la synthèse du plaidoyer de Guy Gweth telle que publiée par l’hebdomadaire Les Afriques n°95 (du 29 octobre au 4 novembre 2009, page 22) sous le titre « Pour une stratégie continentale d’intelligence économique ». La version originale est disponible au siège de l’Union Africaine.

Dans Cinq surveillances de base pour une entreprise compétitive (Ndlr Les Afriques N°94), nous avons vu que le monitoring de l’information formelle et informelle, de la concurrence, des grandes tendances du marché, des technologies et des ONG spécialisées peut être décisif pour une entreprise en compétition. Nous sommes malgré tout arrivés à la conclusion que, face au durcissement des affrontements économiques sur la scène internationale, l’entreprise africaine est contrainte de passer à l’étape suivante, à savoir l’intelligence économique, entendue comme un processus de collecte, de traitement et de diffusion de l’information utile aux acteurs économiques. Or, dans ce domaine, seules, les entreprises peuvent à la fois beaucoup et pas grand-chose. Elles peuvent beaucoup parce qu’une entreprise, prise isolément, est capable de mettre en place une unité d’intelligence économique ou de veille stratégique performante, à l’instar de la BMCE Bank au Maroc ; pas grand-chose, hélas, parce que la guerre économique, telle qu’elle frappe le continent, exige que d’autres acteurs de poids se tiennent instamment aux côtés des entreprises dans le cadre d’une stratégie continentale. Il s’agit des organisations de la société civile, des États, des organisations sous-régionales et de la nouvelle Autorité africaine.

Les entreprises

Les enjeux de l’intelligence économique pour les entreprises africaines sont désormais clairement énoncés : pour survivre et rester compétitives, elles doivent profiter des opportunités offertes par la société de l’information pour s’interroger et s’informer sur les stratégies, les méthodes et les outils des concurrents, de manière à pouvoir anticiper et même innover avec le maximum de rapidité possible. Ici, le facteur temps est primordial, de même que le caractère informel d’une bonne partie de l’information stratégique disponible en Afrique. Par conséquent, les rôles doivent être bien définis au sein de l’entreprise entre ceux qui observent, ceux qui analysent et ceux qui décident. Tous doivent avoir à l’esprit que l’amélioration des résultats de l’entreprise dépend en partie de leur capacité à interagir en interne, ainsi qu’en externe, avec les ministères et organisations de la société civile compétents.

Les ministères et organisations de la société civile

Mis à part la révolution tant attendue au sein des services de renseignements africains pour se déployer sur le terrain de la guerre économique, au même titre que la CIA étatsunienne, le FSB russe, le MI 5 britannique, le Mossad israélien ou le Guoanbu chinois, le modèle de référence pour ce qui concerne les dispositifs étatiques d’intelligence économique reste le super Ministère japonais de l’économie, du commerce extérieur et de l’industrie, plus connu sous son abréviation d’origine, MITI. Crée en 1949 par des anciens des services secrets, il s’est fixé pour mission de favoriser les technopôles dans l’archipel, de surveiller les échanges du Japon avec l’extérieur, d’informer et d’accompagner les entreprises nipponnes à l’international. Ce modèle est d’autant plus adaptable aux pays africains, qu’il a été institué dans un Japon complètement dévasté par la 2e Guerre mondiale et qu’il a réussi à fédérer les secteurs publics et privés du pays avec les résultats qu’on connaît. Associées à ce schéma, les organisations de la société civile (syndicats, ONG et associations) ont une partition non négligeable à jouer aux côtés de l’État.

Les États

L’influence des États a toujours été un facteur clé des succès économiques des entreprises à l’international. Aujourd’hui, mieux qu’hier, la diplomatie économique africaine doit être plus ciblée et plus offensive. Ciblée vers les instances de décisions et de fabrication des normes en renforçant les capacités de renseignement et de négociation des représentants africains auprès d’organisations telles que l’OMC ; offensive au point de quitter son nombrilisme pour partir à la conquête de marchés extérieurs. Les résultats de la diplomatie économique libyenne de ces trois dernières années dans des pays européens tels que la Suisse ou l’Italie tracent le chemin. Au jour d’aujourd’hui, la Banque centrale Libyenne, la Libyan Investment Authority et la Libyan Foreign Bank ont notamment investi chez des géants tels qu’UniCredit Banca ou le pétrolier ENI, des investissements ayant la particularité de cibler des sociétés italiennes, leaders dans des secteurs dits stratégiques, comme l’a révélé Il Corriere della Serra, dans une enquête publiée début septembre dernier.

Les communautés économiques régionales

Au-delà des États, la stratégie d’intelligence économique préconisée s’appuie sur les cinq communautés économiques régionales, que sont : la CEEAN au nord, la CEEAE à l’est, la CEEAO à l’ouest, la CEEAC au centre et la CEEAA au sud du contient. Cet arrimage à l’existant vise à la fois la consolidation du processus d’intégration économique et l’émergence de pôles de compétitivité où la recherche et l’innovation sont au service de la croissance. Dans cette perspective, le test engagé dans la région de l’Oriental, au Maroc, est (un exemple certes local, mais…) à suivre, d’autant qu’elle est la première grande initiative connue d’intelligence territoriale en Afrique et qu’elle intègre des partenaires institutionnels (tels que le Centre régional d’investissement ou la Fédération nationale des chambres de commerce, d’industrie et des services…) et des acteurs de la société civile (tels que l’association marocaine d’intelligence) comme le préconise l’Autorité africaine.

L’Autorité africaine

Au sommet de la pyramide, le souci d’une stratégie intégrée d’intelligence économique pour l’Afrique est lisible en filigrane dans L’Union africaine en marche, texte publié dans Le Monde diplomatique nº 666 de septembre 2009. Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine, y écrit : « Je reste, en effet, fondamentalement convaincu que (l’Afrique) ne pourra résister aux défis de la globalisation qu’unie et solidaire. » Cette posture est appuyée par la Banque africaine de développement (BAD), suivant la Résolution CM/Res.464 (XXVI) de la 26e session ordinaire du Conseil des ministres de l’OUA, sur la nécessité d’une « seule entité d’intégration qui sera le point d’ancrage et le creuset où tous les États de la région élaboreront et mettront en œuvre leurs politiques dans des domaines intégrateurs tels que les transports et communications, l’industrie, l’agriculture, l’énergie, l’éducation, la science… » et l’intelligence économique.

© GwethMarshall Consulting

Sources: Les Afriques