Yacine Bio Tchané, économiste Béninoise : “Je trouve le terme ‘émergence’ réducteur”

[Africa Diligence] Diplômée de la London School of Economics and Political Science et de l’Université de Rutgers dans le New Jersey, Yacine Bio Tchané est spécialisée sur les questions de gestion financière en Afrique. Après ses débuts chez International Budget Partnership à Washington DC et un passage remarqué au prestigieux programme de fellowship de l’Overseas Development Institute, elle est recrutée comme analyste par le Trésor sud-africain. L’émergence de l’Afrique, on ne la lui raconte pas.

Durant son aventure américaine, Yacine Bio Tchané se consacre à la promotion de l’apprentissage entre pairs sur les réformes entreprises dans la gestion des finances publiques dans plus d’une douzaine de pays africains, participe à la mise en œuvre de réformes budgétaires dans quelques pays, analyse des rapports, rédige des articles, et organise des conférences et des séminaires pays.

En 2010, elle rentre dans son pays natal et occupe le poste de Coordinatrice des études commanditées à l’Institut de Recherche Empirique en Économie Politique (IREEP). Pendant une année, elle se consacre à la gestion de projets et participe à l’étude sur le financement basé sur les résultats en santé maternelle et néonatale au Bénin.

Depuis avril 2011, elle fait du conseil principalement dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest et centrale ainsi que dans d’autres pays d’Afrique et d’Europe. Elle conduit des études (études de marché, plan d’affaires, etc.) et assiste des entreprises, PME et autres institutions sur diverses questions : ingénierie financière, restructuration, pénétration dans les marchés africains, gestion des finances publiques, gestion de la dette et l’aide publique au développement.

En marge de cela, Yacine opère dans une entreprise où elle prodigue des conseils et assiste les entrepreneurs et les TPE au niveau stratégique et financier à concrétiser leurs projets où à identifier des partenaires/financiers appropriés ; elle accompagne également dans la recherche d’emplois et la préparation d’entretiens.

Titulaire d’un Bachelor en économie et en sciences politiques de l’Université de Rutgers dans le New Jersey et d’un Master en gestion de développement de la London School of Economics and Political Science, c’est une “passionnée d’initiatives sur l’Afrique qui bouge”, comme elle se définit, qui a accepté de répondre à nos questions.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ? Si oui, pourquoi ? Si non pourquoi ?

Yacine Bio Tchané : Je trouve le terme émergence réducteur, il représente plus un slogan politique ou une tendance qui traduit les stratégies nationales à moyen terme.

Je crois plutôt au potentiel de l’Afrique, que chaque pays peut exploiter pour son développement. Grâce à ses ressources naturelles et humaines (aussi bien sur le continent que dans la Diaspora) ainsi qu’aux avancées technologiques, je suis persuadée que mon continent dispose de tous les atouts pour réussir.

Par contre, si les États africains doivent faire preuve de sérieux et de réelle volonté politique et surtout de bonne gouvernance les fléaux comme l’insécurité alimentaire, l’extrême pauvreté, la fracture en matière de services sociaux de base, feront place à des économies modernes et performantes.

Aussi, un focus sur la rentabilité économique des stratégies de développement est crucial. Des milliards USD sont distribués et des centaines de conférence organisées, pourtant les progrès sur le terrain sont timidement perceptibles. Osons remettre en question les modèles en place et apprendre de nos erreurs afin d’emprunter un nouveau chemin.

Enfin, les États africains doivent prendre les devants et aussi anticiper, communiquer et agir (plutôt que de réagir) face aux défis auxquels ils sont confrontés. Cela renforcera leur crédibilité face aux populations mais également vis-à-vis de la communauté internationale.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer?

Les leviers que je trouve les plus porteurs sont les infrastructures, les TIC et les services.

Les infrastructures concernent aussi bien les infrastructures routières/ferroviaires/aéroportuaires que l’énergie, l’eau et l’assainissement. Elles sont primordiales tout d’abord pour faciliter le bien-être des populations et impulser le développement d’un secteur privé qui est une alternative indéniable pour le développement du continent.

Les TIC représentent désormais un puissant canal d’accès aux biens et aux services en Afrique et offrent des plus-values très importantes que ce secteur offre. Nos États doivent absolument tirer profit de la révolution du mobile et de l’Internet en marche, en libéralisant ces secteurs pour en faciliter l’accès aux populations et surtout en se consacrant à un rôle de régulateur. Le nombre croissant de programmes finançant les entrepreneurs aux idées technologiques les plus innovantes comble le fossé entre la demande et l’offre d’emploi en promouvant un auto-emploi qui a des retombées sur le développement social. Mais ces initiatives devront être renforcées.

Enfin, les services (des services financiers aux industries récréatives, au tourisme/hospitalité, en passant par les services de logistiques) représentent un ensemble de sous-secteurs qui sont porteurs et hautement créateurs d’emplois. Ces secteurs valorisent également l’image du pays.

Mais il est important de mentionner que sans la bonne gouvernance, aucun de ces secteurs ne représenteront des leviers de développement quel que soit les investissements consentis.

Si vous vous retrouviez à la tête de votre pays, dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Si je me retrouvais à la tête de mon pays le Bénin, mes trois premières décisions seraient les suivantes:

Je permettrais au secteur informel (qui représente plus de 90% des activités économiques) d’évoluer dans son écosystème actuel tout en mettant en place des mesures de taxation appropriées/simplifiées et en identifiant de nouveaux instruments d’accès aux financements.

Aussi controversé que cela semble, le but à moyen terme ne devrait pas être de pousser à la formalisation des structures informelles mais à élargir l’assiette fiscale et à promouvoir l’activité économique.

Lié au premier point est l’épineuse question de l’emploi qui doit être une priorité à tous les plans des stratégies nationales. Je m’assurerais de stimuler les secteurs porteurs de l’économie qui sont une importante source d’emplois, notamment dans les services, en boostant les compétences techniques d’entrepreneurs, en leur facilitant l’accès à des marchés, et en les accompagnants dans la recherche de partenariats étrangers.

Enfin, dans le secteur de l’agriculture, je régulerais les filières porteuses telles que l’anacarde, le maïs et le soja afin que les producteurs en profitent directement et que le Bénin puisse assurer son auto-alimentation et approvisionner son géant voisin le Nigeria.

Propos recueillis par la Rédaction

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