CEA | Les clés d’une intégration qui marche

A l’heure où l’Afrique est engagée dans un processus d’intégration économique à l’échelle du continent, force est de constater que depuis 2000, plusieurs communautés sous-régionales enregistrent des progrès absolument remarquables. Toutes ne  progressent certes pas à la même vitesse, mais celles qui sont en avance devraient vivement être encouragées et soutenues notamment par l’Union Africaine. Tel est le cas de la Communauté est-africaine (CEA) qui enregistre depuis 10 ans des avancées considérables. Les clés.

 

Par Christian Nyombayire

Créée en 1967 par le Kenya, la Tanzanie et l’Uganda, la Communauté est-africaine a pour objectif de renforcer la coopération dans les domaines économique, politique et sociale afin d’améliorer la qualité de vie des populations par le biais de la création de la richesse et renforcer la compétitivité dans la région en stimulant la production, les échanges et l’investissement. La CEA fut dissoute en 1977 pour être reconstituée en 2001 sous l’impulsion des mêmes pays créateurs. En 2007, le Rwanda et le Burundi intègrent la Communauté est-africaine pour former ainsi un bloc de cinq pays. Avec 133 millions d’habitants et un PIB de 70 milliards de dollars, la zone CEA est un marché à fort potentiel.

Depuis sa reconstitution en 2001, la Communauté est-africaine n’a de cesse de fournir des efforts en vue de franchir les grandes étapes qui mènent à une intégration totale. Avec l’instauration de l’Union douanière en 2005, le commerce sous-régional a augmenté de 47% au cours des cinq dernières années. Plus besoin de payer les taxes d’entrée pour les marchandises venant d’un pays membre de la CEA ; élimination des barrières non tarifaires ; établissement d’un tarif extérieur commun ; application du principe d’asymétrie… L’Union douanière est un fait, et un succès par ailleurs. Certes il reste à harmoniser la législation de certains Etats membres en vue d’y intégrer les éléments clés du traité mais sur le terrain, les choses évoluent à un rythme accéléré.

Dans la continuité de leurs objectifs d’intégration, les pays de la Communauté est-africaine ont ratifié le 1er juillet 2010 le protocole instaurant le Marché commun. La signature de ce document marque une étape cruciale dans ce qui est désormais le véritable Marché commun de la sous-région. Intervenant après l’Union douanière, le Marché commun a levé tous les droits à l’importation entre les cinq Etats membres de la Communauté. Cette étape « illustre au plus haut degré la forte volonté politique et l’engagement ferme de tous les acteurs de la CEA à approfondir et élargir l’intégration », selon le Secrétaire général de la CEA, Monsieur Mwapachu. Il va sans dire qu’avec ce Marché commun, les pays de la CEA verront les niveaux de vie de leurs populations s’améliorer considérablement. Ce Marché permettra notamment aux pays enclavés comme le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda, d’avoir un accès plus facile aux ports de Mombassa (1) [où passent environ 85% des importations ougandaises mais aussi toutes les exportations rwandaises] et de Dar-es-Salam (2). Il permettra également aux entreprises des pays membres, kenyanes et tanzaniennes en particulier, d’élargir leurs cibles de consommateurs, voire d’ouvrir des filiales dans les pays de la sous-région ; une ouverture qui devrait stimuler la concurrence et doper la croissance.

Intégrée dans le protocole du Marché commun, la libre circulation des personnes devient une réalité. Il s’agit là d’une autre étape décisive. Non seulement, elle permet aux citoyens membres de la CEA de pouvoir circuler librement dans l’espace CEA mais aussi de pouvoir y travailler. Aujourd’hui, nul besoin d’avoir un passeport CEA pour circuler dans la zone, il suffit d’avoir un passeport valide d’un pays membre pour circuler dans toute la zone. D’ailleurs, dans quelques mois, il suffira juste d’une carte d’identité d’un pays membre ; finis les frais de visa. Les quelques réticences liées à cette étape, qui avaient été émises particulièrement par la Tanzanie, sont aujourd’hui quasiment levées. Il est vrai qu’en 2006, on avait assisté à des expulsions des ressortissants rwandais et tanzaniens au Burundi pour immigration illégale et à l’application du principe de réciprocité côté tanzanien concernant les Rwandais et les Burundais vivants en Tanzanie, mais cela sonne désormais comme du passé.

Quant au droit du travail dans l’espace communautaire CEA, bien que le traité ait été ratifié, certains Etats doivent encore lever les obstacles juridiques en harmonisant leur législation par rapport aux textes du traité. La volonté affichée par les populations poussera inévitablement les Etats à accélérer la cadence dans ce sens. Selon un sondage réalisé par Gallup3, la majorité de la population rwandaise, burundaise et ougandaise souhaitent à plus de 85% voir la suppression du permis de travail, alors que pour les populations kenyanes et tanzaniennes sont respectivement de 65% et 57% à vouloir cette suppression. Ce sondage montre à quel point les populations souhaitent plus que jamais que les choses se concrétisent rapidement. A l’heure actuelle, seul un Etat a franchi le cap : le Rwanda. En supprimant l’obligation du

permis de travail pour les ressortissants des pays membres du bloc, le Rwanda a enregistré un nombre croissant des ressortissants membres des pays de la CEA, en majorité kenyans et tanzaniens, qui se sont précipités au Rwanda pour chercher du travail. Ce sont souvent des personnes compétentes et expérimentés, et non de la main d’œuvre ouvrière. D’autres pays devraient bientôt lui emboiter le pas, à l’instar du Kenya s’apprête déjà à faire de même.

L’intégration sousrégionale pourrait, à terme, se concrétiser par l’agrandissement du Marché commun sous-régional avec la fusion du COMESA (Common Market for Eastern and Southern Africa) et de la SADC (South African Developpement Community) pour former, avec la CEA, une zone de libre échange d’un niveau encore jamais atteint en Afrique. Le sommet de Kampala en 2008 l’avait suggéré, mais c’est le sommet de la SADC, à Kinshasa en 2009, qui en a posé les premiers jalons par la signature d’un mémorandum d’accord qui doit permettre la fusion du COMESA avec la SADC et la CEA. La mise en place d’une telle zone de libre échange serait la première en Afrique, avec 26 pays et 57% du PIB du continent.

Pour soutenir l’intégration au sein de la Communauté est-africaine, un Fonds a été créé en 2009 : le TradeMark East African (TMEA). Le Fonds TMEA vise à libérer le potentiel économique de la Communauté par la réduction des coûts de transport et des coûts connexes, et le soutien des institutions du Marché commun pour leur permettre d’élaborer un cadre global d’intégration, grâce à un partenariat public-privé. Ce Fonds a été lancé officiellement le 1er février 2011 au Kenya.

Les années à venir montreront plus clairement que cette zone joue un rôle non négligeable dans la construction de l’intégration africaine. La CEA pourrait encore s’ouvrir davantage, au Sud-Soudan notamment, les Présidents kenyan et rwandais ayant invité ce pays à intégrer la Communauté. Hormis les discours, des contacts ont été établis entre le Sud-Soudan et le Kenya pour la construction d’un nouveau port dans la zone touristique de Lamu, dans le nord, près de la frontière avec le Sud-Soudan. Le port de Lamu devrait, si le projet aboutit, permettre au Sud-Soudan d’acheminer son pétrole pour éviter de devoir le faire passer via Khartoum. Le port de Lamu pourrait non seulement servir les Sud-Soudanais, mais il arrangerait aussi les pays comme l’Ouganda avec le pétrole du lac Albert, et probablement les exploitants de l’or noir dans les zones pétrolifères du Kivu.

La zone CEA offre d’énormes opportunités d’investissements, et pourrait encore davantage si les projets de fusion avec d’autres communautés sous-régionales aboutissaient. Pour les entreprises, tant européennes qu’africaines, l’espace CEA est non seulement un marché important mais offre également un environnement propice aux investissements (4). Les entreprises françaises sont moins présentes dans cette contrée, si ce n’est de manière relative au Kenya. Selon les chiffres du ministère des affaires étrangères français, le commerce entre la France et les pays de cette sous-région ne dépasse pas 3% des échanges (5). [] D’autres pays comme la Chine, le Brésil, l’Inde, la Turquie et les Etats-Unis – pour ne citer que les principaux – ont déjà investi les lieux avec une présence accrue et une diplomatie économique soutenue. A les observer, ils n’entendent pas laisser échapper la moindre opportunité.

Au regard des enjeux dans cette sous-région, les années à venir risquent d’être celles d’une lutte acharnée pour le contrôle de la zone, entre les pays émergents (Brésil, Inde, Turquie) et les pays occidentaux (USA, Angleterre). Il faudrait garder en tête que la plupart des sources du Nil se trouvent et passent par la zone CEA. Et l’on sait à quel point l’eau peut être source de conflits...

En conclusion : la Communauté est-africaine est entrain de devenir une zone économique dynamique et importante. Beaucoup reste à faire, mais au regard de ce qui a été accompli depuis 10 ans, et comparé à d’autres communautés sous-régionales, la CEA offre de belles perspectives. A ce rythme, il y a fort à parier que dans les cinq, voire les dix ans à venir, nous assistions à la mise en place de la monnaie unique avant d’aboutir à une fédération politique. Dans un proche avenir, seuls ceux qui auront fait le choix de l’audace, de la vision, de clairvoyance et surtout d’humilité, pourront bénéficier aisément de ce que le continent a à offrir. L’Afrique change du jour au jour, il faut s’adapter si l’on veut faire partie de son futur.

CN

(1) Le port de Mombassa se trouve au Kenya, il est le deuxième port en Afrique de l’Est et Australe après celui de Durban.

(2) Le Port de Dar-es-Salam se trouve en Tanzanie

(3) Gallup in East African Community Citizens Favor for freer labor flow

(4) Rapport Doing Business in the East African Community 2010

(5) http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/ouganda_373/france-ouganda_1201/index.html