Engrais: l’énorme potentiel du marché africain

[Africa Diligence] Le continent africain aiguise les appétits des industriels des engrais, tant les marges de croissance possibles sont importantes. C’est sans doute ce qui amène le groupe OCP à jeter son dévolu sur le marché africain.

Cent milliards de DH! C’est la coquette somme que mobilisera la vague II du programme d’investissement du groupe OCP, approuvé par le conseil d’administration du géant phosphatier. Étalés sur la période 2018-2028, les investissements de la deuxième vague cibleront, à en croire le top management, trois zones : l’axe centre (Youssoufia-Benguerir-Safi), l’axe sud (Laâyoune) et l’Afrique (Éthiopie et Nigeria, principalement). «Sur l’axe centre, un pipeline, un site chimique près du nouveau port de Safi, ainsi que d’autres projets sont envisagés. À Laâyoune, ce sera une unité de production d’engrais. En Afrique, il s’agit de monter en puissance avec nos grands projets en Éthiopie et au Nigeria», détaille notre source. Quid du financement ? «Une bonne partie sera assurée par autofinancement grâce au cash-flow qui grandit à mesure que les effets de la vague I continuent à se faire sentir», rétorque-t-elle. En deuxième lieu, le groupe table sur un financement complémentaire sous trois formes : la dette bancaire marocaine, des prêts auprès de partenaires internationaux (AFD, BAD, BID, kWf, BEI) et les emprunts obligataires.

Autre piste : le crédit TVA d’un montant de 20 milliards de DH dû par l’État au groupe. C’est une manne à ne pas négliger. «Il y a eu des avancées importantes dans ce dossier et des discussions en bonne intelligence ont eu lieu. Nous avons même évoqué des mécanismes et pistes qu’il serait prématuré de dévoiler. Un conseil spécial sera tenu pour trancher», confie la même source. A tout cela s’ajoute le fait que l’OCP compte désormais un peu plus sur ses partenaires en privilégiant les joint-ventures (JV) et tout autre forme de partenariat, à l’image du projet éthiopien.

La première vague a ciblé principalement l’axe nord – la mine de Khouribga et le site chimique de Jorf Lasfar – et a eu de gros impacts sur l’activité de l’OCP et ses résultats financiers. Pipeline, four de séchage, quatre unités de productions d’engrais à Jorf Lasfar, extension de la plateforme portuaire et développement des services connexes… Autant de projets structurants pour une enveloppe de 75 milliards de DH.  Les effets escomptés ont été au rendez-vous avec une augmentation conséquente des capacités à l’export (de 4 millions de tonnes d’engrais en 2004 à 12 en 2017), l’augmentation des parts de marché et la maîtrise des coûts – 1,7 milliard de DH économisés rien qu’en 2017.

De gros investissements prévus en Éthiopie et au Nigeria

Vendre partout sans dépendre d’un marché particulier. Ceci est un des points forts de la stratégie commerciale de l’OCP. La répartition géographique du chiffre d’affaires le prouve : 30% de ventes en Asie, 30% dans les Amériques, 22% en Europe et le reste en Afrique et partout dans le monde, même jusqu’en Australie. «Nous ne sommes pas dans la même logique que nos concurrents. Être présent sur plusieurs marchés, c’est se couvrir contre les risques. Ça nous permet de gérer la saisonnalité, les fluctuations de la conjoncture», détaille un top manager du département commercial.

Des efforts exceptionnels sont orientés vers l’Afrique, car c’est là où le potentiel est énorme. Et avant tout la croissance : 20% contre 2% à l’échelle mondiale. En fait, les ventes du groupe en Afrique ont augmenté de 50% en 2017 par rapport à 2016. La recette est simple : créer et stimuler la demande dans les pays africains. Pour cela, la filiale africaine du groupe s’est implantée dans 14 pays depuis 2016 à proximité de ses clients. La démarche consiste à «lancer des initiatives sur le terrain, sensibiliser les agriculteurs, développer des produits customisés, construire des unités de blending (mélange) et surtout éliminer l’intermédiation», observe le top management d’OCP. Parallèlement à la montée en puissance des ventes, deux grandes unités de production d’engrais en Éthiopie et au Nigeria viendront accélérer l’africanisation du groupe.

Dans les deux pays, le schéma sera pratiquement le même : importer de l’acide phosphorique du Maroc, utiliser les intrants disponibles sur place pour produire des engrais. À noter qu’aussi bien en Éthiopie qu’ou Nigeria, la disponibilité du gaz naturel à partir duquel est fabriqué l’ammoniaque facilitera la tâche.

Le débat autour du cadmium, une affaire de pur lobbying russe

Côté risques, le management se veut rassurant. Étant corrélées à l’enjeu de la sécurité alimentaire, la production et la commercialisation d’engrais sont une priorité nationale pour les gouvernements africains. «Nous n’avons jamais recourus à nos dispositifs de sécurisation des chiffres d’affaires. Nos partenaires sont, entre autres, des pouvoirs publics avisés pour qui le fait de réserver des devises pour l’achat d’engrais est un réflexe», explique notre interlocuteur.

S’agissant des agissements du Front Polisario, le top management soutient que les «très peu de zones à risques» pour les cargaisons marocaines seront contournées.

Interrogé sur la menace que représente la nouvelle réglementation européenne de fertilisants – en discussion et qui prévoit la limitation de la teneur en cadmium du phosphate – pour les exportations marocaines, le top management se veut rassurant encore une fois. «Ce n’est pas l’OCP qui risque gros, mais plutôt les fermiers européens car 70% des importations de phosphates en Europe proviennent de l’Afrique. D’autant plus qu’il n’y a aucune preuve scientifique qui justifierait les limites préconisées par la nouvelle réglementions», argue-t-il. Selon lui, «le débat autour du cadmium est une affaire de pur lobbying russe dont les exportations contiennent une teneur inférieure à celle du Maroc». «Leurs importations sont taxées. Le but est de faire en sorte qu’elles ne paient plus de taxes. Les Européens sont conscients de cela et n’aimeraient surtout pas développer une dépendance – comme pour le gaz – dans le contexte géopolitique actuel», commente-t-on.

La Rédaction (avec Mehdi Jaouhari)