Grace Ondo : l’internationaliste Gabonaise qui regarde l’Afrique comme une Asiatique

[Africa Diligence] Stagiaire à l’Ambassade du Gabon en Corée du Sud, Grace Ondo suivait déjà la coopération économique et industrielle entre Libreville et Séoul. Diplômée d’un Master de recherche en histoire contemporaine des relations internationales à la Sorbonne, elle est, à son jeune âge, l’une des rares spécialistes de la diplomatie économique coréenne sur le continent noir. D’où le regard asiatique qu’elle porte sur l’Afrique.

Née à Libreville, Grace Ondo Methogo a été élevée entre Libreville et Paris. Après une licence d’histoire et une licence de science politique à la Sorbonne, elle obtient un Master de recherche en histoire contemporaine des relations internationales. « Je me suis spécialisée sur la diplomatie économique coréenne en Afrique francophone et plus globalement sur les questions de diplomatie économique asiatique en Afrique, précise-t-elle. Je reviens tout juste d’un an en Inde où j’ai pu poursuivre ma formation et l’enrichir d’une expérience académique en Asie. »

Après un parcours tourné vers la recherche, Grace Ondo est finalement admise en Master professionnel de science politique, spécialité intelligence économique. Si elle tient tant à achever son parcours universitaire de la sorte, c’est parce qu’elle a pour objectif d’avoir une compétence concrète dans la collecte, l’analyse et la diffusion d’informations utiles aux décideurs africains. « Nous ne sommes pas nombreux à nous être spécialisés sur les relations afro-asiatiques, un aspect pourtant incontournable de toute prise de décision diplomatique en aujourd’hui Afrique », explique-t-elle.

A défaut de contribuer directement au Gabon Émergent, son ambition est de mettre son expertise au service d’une organisation dans laquelle elle croit et avec laquelle elle partage des valeurs fortes pour l’émergence de l’Afrique. Tête bien faite et bien pleine, c’est une jeune leader, désireuse de donner plus à l’Afrique émergente qui a accepté de répondre à nos questions.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ? Si oui, pourquoi ? Si non pourquoi ?

Grace Ondo : Demander à un Gabonais si il croit en l’émergence, c’est assez délicat…

Pour parler plus sérieusement, je crois en l’émergence économique de l’Afrique car elle sera dans l’intérêt de certaines grandes puissances. Les premières puissances mondiales chercheront de plus en plus à ce que les grands pays producteurs de matière première ou à fort potentiel en termes de marché ou de géostratégie, leur ressemblent.

L’émergence, selon moi, devrait être définie comme un mouvement vers la normalisation, vers des échanges facilités et une meilleure compréhension mutuelle entre pays “développés”.

Cette émergence sera selon moi réclamée voire imposée par les partenaires des pays africains. D’un point de vue réaliste, c’est une question de survie et de maintien de l’État que de s’engager dans la voie de la normalisation. Le monde a trop besoin de l’Afrique pour la laisser prendre une route différente de la sienne.

Cette définition laisse toutefois deux questions ouvertes.

Premièrement, quel sera l’intérêt pour le continent de suivre cette voie, saura-t-il être assez politiquement réaliste pour en tirer les meilleurs bénéfices ? Deuxièmement, dans notre monde multipolaire, la norme devient multiforme. Alors sortir la tête de l’eau, oui, mais pour nager vers quels rivages ? Le classique capitalisme libéral occidental ? La superpuissance chinoise ? La bien-pensance indienne ? Nous n’assisterons pas à l’émergence, je pense, mais à des émergences africaines, sûrement rivales.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Le développement rapide du continent doit, selon moi, obligatoirement passer par le développement de pays leaders, servant de locomotives à des sous régions. Du fait des enjeux transnationaux très pesants en Afrique et de l’interconnexion des réseaux de décision, les leviers principaux seraient ceux de l’influence ou du lobbying et de l’information.

L’action la plus efficace serait de mobiliser les décideurs autour d’une vision commune, voire d’une idéologie régionaliste. Là où l’influence devra vraiment jouer un rôle, c’est évidemment pour convaincre les pays alentours de la nécessité et des intérêts réels à soutenir une véritable politique régionale. Les leviers de l’influence et de l’information seront selon moi centraux pour informer et convaincre les leaders de la nature très concrète des retombées de cette prise de risque.

La coopération régionale est ce qui permettra de déclencher un rapide développement de l’Afrique. Elle nécessite l’amélioration des infrastructures, des communications, des échanges commerciaux. Elle implique la création et le renforcement d’intérêts économiques communs, ce qui sur le moyen et le long terme engendre une stabilité de fait ainsi qu’une normalisation des économies et des formes de l’État. Je pense ici à l’exemple de l’ASEAN. Du point de vue du développement humain et de l’amélioration de la qualité de vie, elle permet une mobilité légale des personnes et des biens, et donc des savoirs et des savoir-faire.

Si vous étiez élue chef de l’État de votre pays dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Je ne vois pas comment cela pourrait arriver ! Je ne suis pas une grande convaincue du système représentatif, et reste persuadée que malgré toutes ses bonnes idées et sa vision, un chef de l’État est malheureusement souvent contraint de ne pas voir ses décisions appliquées. Toutefois, supposons que nous soyons dans le meilleur des mondes…

La toute première chose que je mettrais en place serait un audit de l’ensemble de mes administrations. J’assumerais le fait de faire appel à des experts nationaux et étrangers, notamment ceux venant de pays ayant réussi à se développer rapidement et de façon solide. L’objectif de cette décision serait de m’assurer, avant de lancer la suite de mon programme, d’avoir un État fonctionnel, efficace et réactif. Je mettrai tout en œuvre pour repérer les fonctionnaires compétents et utiliser au mieux les ressources humaines dont je dispose. Un petit pays se doit d’être réactif et attractif, au risque de décourager quiconque souhaiterait y investir. La réactivité et l’attractivité d’un pays passent par une administration efficace et compétente. Cet audit, pour rejoindre la question précédente, inclurait évidemment les institutions régionales, dynamisées et concrétisées.

Ma seconde décision serait une refonte de l’éducation. J’insisterais lourdement sur l‘instauration de cours d’éducation civique. L’éducation nationale en Afrique ne doit pas être un calque d’autres systèmes. L’Afrique et notamment le Gabon ont besoin de former leur jeunesse à l’estime de soi en tant qu’individu et en tant que nation. Certaines valeurs de probité et de gout de l’effort sont centrales et devraient, je pense, être enseignées à tous les âges.

Une réelle pression sur la réussite scolaire doit être instaurée (ce qui rejoint la première décision. Un État méritocratique pousse ses citoyens à avoir le gout… du mérite). J’investirais sur les infrastructures scolaires, le salaire des professeurs ainsi que sur la création d’un hub scientifique.

Je m’arrête un instant sur cet aspect qui est selon moi fondamental. Tout comme l’économie, l’éducation doit être spécialisée. Il est crucial, dans le monde d’aujourd’hui, de se distinguer en tant que nation sur le plan de la compétence intellectuelle et scientifique. Un pays “ en développement” se doit d’investir dans un secteur scientifique précis. L’Inde l’a fait dans le nucléaire et le spatial. L’État a capitalisé sur les savoir-faire pour attirer les investisseurs étrangers et développer une réelle indépendance intellectuelle et scientifique. Or sans une vision tournée à l’origine vers le développement du spatial et du nucléaire, l’Inde n’aurait jamais eu besoin de former en masse des scientifiques ou d’investir dans la formation universitaire. Les retombées touchent aujourd’hui tous les domaines et ont permis à l’Inde d’avoir un incroyable avantage comparatif, par exemple dans l’externalisation des services informatiques ou l’industrie pharmaceutique.

La troisième décision serait en parallèle la mise en place d’un plan quinquennal.

L’État doit avoir à rendre compte de l’avancement de ses décisions. Je prends ici l’exemple de la Corée qui a mis au travail des millions de personnes durant les années 60 et 70. Cela s’est fait grâce à la mobilisation d’un peuple, conscient de son unité nationale, avec une vision précise de l’avenir et de comment y arriver. Cette mobilisation, bien sûr, ne s’est pas faite uniquement sur de bons sentiments. Un plan efficace doit prévoir des gratifications et des sanctions lorsque les objectifs prédéterminés sont atteints ou non.

Pour le Gabon, le premier plan que je mettrais en place serait celui permettant d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Les sommes dépensées en importation de nourriture seraient à la place investies dans la transformation des terres arables, un soutien économique attrayant aux agriculteurs et la création de chaines de valeur et d’approvisionnement dans le pays, en s’appuyant sur ses voisins au sein d’une réelle coopération régionale.

Comme vous le voyez, mes premières décisions ne seraient pas de donner un toit, des hôpitaux et des maisons à mes concitoyens. Les pays sortis de façon fulgurante mais pérenne de la misère sont des pays où une génération s’est sacrifiée au travail, avec la certitude que leurs efforts seraient reconnus et valorisés, et qu’ils porteraient leurs fruits de façon certaine.

La Rédaction

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