Sécuriser le patrimoine juridique des sociétés

Africommodities & GwethMarshall Consulting attirent l’attention des décideurs africains sur une importante faille d’intelligence économique qui porte atteinte aux intérêts et à la souveraineté économique en Afrique:  la grande fragilité observée dans la protection du patrimoine juridique des entreprises africaines.

La protection juridique des sociétés africaines est un enjeu qui préoccupe de plus en plus les professionnels de l’intelligence économique qui surveillent les marchés émergents d’Afrique. L’intelligence juridique, précisons-le, s’entend comme un cycle de recherche, de traitement et de transformation d’informations à usage juridique en connaissances capitalisables par les juristes affaires.

En Afrique plus qu’ailleurs, ces professionnels exercent dans un microcosme pour le moins poreux, qui permet la découverte de facteurs clés de succès (de certaines compagnies) relevant du secret des affaires. De plus en plus des cabinets d’avocats d’affaires utilisent la due diligence et les outils de renseignement économique avant, pendant et après les procédures judiciaires et/ou des procès.

En droit des affaires, un dossier se gagne plus aisément en agrégeant certains facteurs stratégiques grâce aux  outils de recherche et d’analyse de l’information que la défense mobilise ensuite pour étayer ses arguments. En Afrique, les juristes d’affaires s’étonnent parfois que les entreprises locales qu’elles défendent soient incapables de présenter des exemplaires de contrats conclus avec des tierces parties étrangères. Dans plusieurs affaires que nous surveillons, nous avons constaté que dans 3/5 des cas,  la gestion des contrats d’affaires est relativement bien assurée en interne alors que la gestion des grands comptes est déplorable. Nous avons également identifié comme source de vulnérabilité des entreprises  les conflits d’intérêts qui naissent suite à l’exercice du mandat des avocats d’affaires et des juristes qui opèrent au sein des grandes sociétés.

Dans un secteur sous tension comme celui de la gestion des contrats liés à l’exploitation des ressources naturelles (et plus particulièrement des gisements de matières premières stratégiques) où il existe peu de juristes spécialisés sur les marchés émergents d’Afrique, la plupart des sociétés font travailler tour à tour tous les avocats spécialisés de la place en leur imposant des clauses de non-concurrence sur une période pouvant aller jusqu’à 10 ans. Cette ingénierie juridique permet à certaines sociétés qui opèrent sur les marchés de matières premières stratégiques d’exclure du jeu les compétences de nombre d’avocats spécialisés sur une période déterminée. Ce montage offre in fine la possibilité d’imposer à certains États des contrats absolument léonins qui – ce serait un pléonasme –  ne garantissent jamais les intérêts des pays-cibles.

Nos dispositifs de monitoring signalent que, hormis l’Afrique du Sud, les États africains disposent de très peu d’instruments juridiques condamnant expressément toute atteinte au patrimoine informationnel de leur économie. Aux États-Unis et en Chine, de telles lois sont en constante évolution. Dans l’Hexagone par exemple, les articles 410-1 et 411-6 du Code Pénal répriment l’espionnage en ces termes : « les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense, de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement, des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique, et de son patrimoine culturel. » Aux États-Unis, l’espionnage économique est un crime fédéral passible d’une peine maximale de 15 ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant atteindre un demi-million de dollars.

Au sein des pays de l’OCDE, les cabinets d’audit et de fiscalité, les agences de notation, les cabinets de communication financière et boursière qui ont l’avantage de pouvoir accéder légalement à des informations sur les trade secrets des créateurs de valeur sont encadrés par des instruments juridiques interdisant l’exploitation des informations recueillies auprès des organisations à des fins commerciales. La raison qui sous-tend cette veille de souveraineté s’explique par le fait que les activités de ces acteurs peuvent fragiliser les sociétés qui créent de la valeur ainsi que l’ensemble des stakeholders, notamment les pouvoirs publics (qui collectent les impôts), les fournisseurs des biens et services (qui font marcher l’économie), les créanciers résiduels communément appelés actionnaires ou apporteurs des capitaux (qui financent la croissance des entreprises privées), les consommateurs, ainsi que les concurrents (qui réclament un climat de saine compétition).

David Beylard & Guy Gweth, Conseils en intelligence économique & stratégique