La jeune Afrique dans la ligne de mire de l’industrie du tabac

[Africa Diligence] « L’aide et la gratuité étant les failles absolues des consommateurs africains, les industriels du tabac ont compris, au fil des ans, qu’ils pouvaient enfumer l’Afrique, à condition d’offrir des cadeaux en échange. Mais le renouvellement des élites est en cours. Ça change tout », explique un acteur de l’intelligence économique de KCG.

Longtemps exempt de cancers liés au tabac, le continent africain est à son tour malade du tabagisme. La consommation de cigarettes ne cesse de progresser depuis les années 80. Après avoir longtemps cédé aux lobbys de l’industrie du tabac, les gouvernements africains tentent de s’organiser, à l’image de la nouvelle loi sénégalaise.

La cigarette, longtemps objet de luxe peu présent sur le continent africain, est devenue un objet culturel et social de la jeunesse africaine. A coups de distributions gratuites en boîte de nuit, de campagne marketing massive, de sponsoring culturel et politique, les lobbys des industries du tabac ont réussi à imposer leur marché et leur profit. Parfois contre, mais le plus souvent avec la complicité des pouvoirs publics africains.

Les marchés en Occident étant de plus en plus saturés, le marché africain est devenu dans les années 80 une cible de choix. Ce sont les jeunes, tous sexes confondus, qui étaient visés. Résultat: 10% des fumeurs allument leur première cigarette dès l’âge de treize ans.

Les lobbys du tabac ont parfaitement réussi à implanter leur business modèle. Ils offrent des cigarettes à la sortie des collèges, voire des écoles. Ils sponsorisent des évènements sportifs et culturels. Difficile ensuite de critiquer le danger de leurs produits, surtout que ce commerce du tabac rapporte des taxes dans les caisses de l’État. En 2012, le ministre ougandais de l’Industrie affirmait que fumer était un «acte patriotique» car cela rapportait de l’argent au budget de l’État.

D’après une étude de l’Observatoire du tabac en Afrique, le tabagisme ne cesse d’y progresser. «On enregistre une augmentation de la consommation du tabac chez les jeunes, en particulier chez les filles.»

Les pouvoirs publics africains sont longtemps restés impuissants face aux lobbys des industries du tabac, quand ils n’en sont pas complices.

Au Tchad, par exemple, où la cigarette n’existait presque pas il y a quarante ans, «13% des jeunes de 16 à 32 ans fument du tabac et seulement 4% d’entre eux sont conscients que ce produit est nuisible à la santé », affirme l’Association tchadienne de défense des droits des Consommateurs.

Selon Nivo Ramanandraibe, docteur au sein du bureau Afrique de l’OMS, «l’Afrique est très en retard dans la lutte contre le tabagisme aussi bien au niveau des législations qu’au niveau de la lutte citoyenne. Les dirigeants du continent prennent des engagements dans les réunions internationales de lutte contre le tabac, mais rares sont ceux qui tiennent leurs promesses. Les industriels jouent la carte du pouvoir de l’argent», a-t-il commenté.

23% de la mortalité masculine

Selon l’OMS, le tabagisme provoque 6 millions de décès par an dans le monde. En Afrique, les systèmes de santé sont dépassés. Face à l’explosion des cancers des voies respiratoires, quelques pays africains commencent à élaborer des textes législatifs pour y faire face, mais le défi est bien plus grand que les lois. La République du Tchad, l’île Maurice et le Sénégal constituent des exemples concrets qui illustrent la volonté de lutter contre la progression de la consommation du tabac.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, le Tchad est le tout premier pays subsaharien à avoir imposé des avertissements sévères de santé en usant d’images et de textes chocs sur les paquets de cigarettes.

Au Sénégal, en vertu d’un loi de 2014 dont les décrets d’application viennent d’être publiés, le tabac est dorénavant interdit dans les lieux publics et la vente aux mineurs est prohibée, de même que la vente de cigarettes à 200 mètres des établissements scolaires. La loi prévoit aussi l’interdiction de toute publicité directe ou indirecte pour le tabac.

Le Sénégal vient d’adopter une loi anti-tabac qui interdit l’ingérence de l’industrie du tabac dans les politiques nationales de santé. Selon le texte de loi, «il s’agit de contrer les stratégies utilisées par l’industrie du tabac pour interférer dans les politiques de santé, miner les efforts de lutte anti-tabac et s’opposer aux mesures allant à l’encontre de ses intérêts financiers.»

Les enjeux économiques sont énormes pour les multinationales américaines, elles ont trouvé en Afrique «un relais de croissance» à la hauteur de la croissance démographique du continent. En revanche, le tabagisme se paye au prix fort en termes de développement. Il pèse lourdement sur les dépenses de santé et d’éducation, quand ils ne tuent pas des jeunes dans la force de l’âge.

(Avec Michel Lachkar)