La relation Chine-Afrique est-elle gagnant-gagnant?

Temps forts de la conférence donnée par Benjamin Pelletier & Guy Gweth, experts en intelligence économique et stratégique, le 30.03.10 en présence de LIU Haixing, 1er Secrétaire de l’ambassade de Chine à Paris. Un évènement ChinForm couvert par deux médias internationaux chinois: Phoenix TV et La Nouvelle Europe.

Pour rendre compte de La perception africaine des investissements chinois en Afrique, Guy Gweth s’est notamment appuyé sur le cas du Cameroun, « Afrique en miniature », où le n° 4 chinois, Jian Qinglin, en visite officielle du 24 au 26 mars a reçu un accueil présidentiel. Le Cameroun qui, comme la quasi totalité des peuples d’Afrique subsaharienne, perçoit la Chine comme « pays ami et frère » au quotidien, à cause de son discours (fraternel et de non-ingérence), de ses nombreuses réalisations (hôpitaux, palais des congrès, infrastructures sportives, routes, etc.) de sa coopération (prêts et aides sans conditions, etc.), de son soutien diplomatique (pour une siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies, par ex.), de ses prix bas, de la création de nombreux emplois […]

Pour bien saisir le propos, le conférencier suggère de regarder la Chine avec les yeux des habitants d’une contrée dont le sous sol est certes immensément riche, mais où plus de 50% de la population gagne moins de 2$ par jour, où il n’existe pas d’assurance maladie, où les taux de chômage atteignent des chiffres astronomiques, où l’on couche parfois à même le sol pour céder le lit à l’étranger, où ceux qui s’en sortent aident les plus démunis, et où on croit en Dieu et dans l’avenir […] C’est avec les yeux de ces hommes et femmes que l’orateur a tour à tour rapporté la perception de l’opinion publique africaine, celles des opérateurs économiques et celle des dirigeants, avant de jeter un regard prospectif sur les 5-10 prochaines années […]

Revenant sur la problématique de l’aide massive chinoise, l’orateur reprend à son compte l’analyse de la Zambienne Dambisa Moyo (dans L’aide fatale, J.C. Lattès, Paris, 2009) : « l’aide est une drogue pour l’Afrique. Depuis soixante ans, on la lui administre. Comme tout drogué, elle a besoin de prendre régulièrement sa dose et trouve difficile, sinon impossible, d’imaginer l’existence dans un monde où l’aide n’a plus sa place. » Avec l’Afrique, la Chine aujourd’hui – comme l’Occident depuis des décennies – a trouvé le client idéal dont rêve tout dealer. Les Chinois répondent aux besoins sociologiques et fondamentaux des Africains pour, en retour, accéder aux matières premières et asseoir leur suprématie internationale, sans avoir mal à leur conscience.

Répondant à une question, l’orateur met en garde contre la tentation de tomber dans le piège du storytelling, comme dans le cas de la Françafrique , où des auteurs et journalistes français (soi-disant habitués des palais africains) ont co-construit, en 50 ans, une histoire sulfureuse avec 45% de faits réels et vérifiables et 55% d’imagination. Pour Gweth, aucun analyste sérieux n’est en mesure de démontrer que tout acte posé par un entrepreneur chinois en Afrique fait partie d’une gigantesque stratégie chinoise de conquête du marché africain. « Chaque jour, nous rencontrons des chefs d’entreprises français en Afrique qui n’ont jamais touché du doigt ces fameux réseaux franco-africains… Dans un sens, la Françafrique apparaît comme un égrégore dont une part de la réalité tient au fait de toujours en parler. » Et il y a de nombreux entrepreneurs chinois en Afrique qui n’ont aucun lien ni avec le gouvernement central chinois, ni avec leur représentation diplomatique.

Off

Parmi les temps forts de l’après conférence, il y a par exemple cet échange exceptionnel avec un participant chinois particulièrement obséquieux, le front intelligent, les yeux malins.

– Quel est votre vrai sentiment sur la présence chinoise en Afrique, demande-t-il au conférencier.

– Parce que vous pensez que je viens de vous jouer la comédie, répond Gweth, avec un sourire.

– Non, mais parce que je sais qu’on ne peut pas vraiment faire ami-ami avec les Chinois…

– Ah bon ? Et pourquoi dites-vous ça?

– Je pense que vous, les Africains, avez plus d’affinités avec les Européens, et que nous, Chinois, avons deux cents ans de retard là dessus…

– Vous avez certainement raison, dans un certain sens…

– Mais je pense que tous les peuples sont frères. C’est leurs dirigeants qui les séparent.

– C’est l’une des phrases les plus pointues que j’ai entendu ces dernières années. Merci !

Et puis, il y a cette ravissante Marocaine, très cultivée, qui démontre avec force cohérence et arguments que « le rapprochement sino-africain est largement facilité par une grande affinité culturelle entre les deux peuples. » Au fur et à mesure de cet intense face à face qui dure 3 minutes au total, le conférencier mesure -par ricochet- à quel point le discours des politiques français tétanise les immigrés africains, et singulièrement les plus lettrés, les mieux  « intégrés » a priori, les poussant à se tourner du « côté où le soleil se lève. »

Il y a, enfin, tous ces échanges spontanés et enrichissants, ces mots d’encouragements entre participants et conférenciers ainsi que ces poignées de mains chaleureuses qui nous rappellent à tous (Africains, Asiatiques et Européens réunis là) qu’avec  nos différences, nous pouvons construire, ensemble, un monde gagnant-gagnant pour tous.

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GMC