L’Afrique, vidée de ses espèces fauniques. À qui profite le crime ?

[Africa Diligence] La ressource faunique africaine est riche par sa diversité. Plusieurs millions de différentes espèces pullulent le continent participant à la création de richesse sous différentes formes. Mais depuis un certain temps, l’on constate un vaste mouvement de ses espèces en direction de l’Asie.

Entre 2006 et 2015, l’importation d’espèces protégées en provenance d’Afrique a été multipliée par dix dans les pays de l’Asie de l’est et du sud-est. Ce constat est dressé par l’ONG Traffic, une association spécialisée dans l’étude des circuits commerciaux, légaux et illégaux, qui concernent la faune et la flore sauvage. Dans un rapport publié le 5 mars 2018, l’ONG dévoile ce qui échappe généralement à l’attention médiatique : le commerce – souvent légal –  des espèces qui forment le socle de la biodiversité du continent africain mais qui ne sont pas aussi emblématiques que les lions, les éléphants ou les rhinocéros, victimes d’un braconnage massif piloté par des mafias lourdement armées.

Dressé à partir de la base de données de la CITES (la Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune sauvages menacées d’extinction), le bilan met en lumière les insuffisances de ladite CITES, incapable d’entraver l’explosion du commerce animalier. En l’espace de dix ans, plus de 1,3 million d’animaux vivants et de plantes ont quitté l’Afrique pour l’Asie, ainsi que 1,5 million de peaux et deux mille tonnes de viande « sauvage ». L’ONG a recensé 975 espèces différentes dans les circuits commerciaux entre les deux continents pour l’année 2015, toutes listées dans les annexes 1 et 2 de la CITES. Celles de l’annexe 1, les plus menacées, sont théoriquement interdites à la vente. Le commerce de celles de l’annexe 2 est, toujours en théorie, étroitement contrôlé pour éviter les risques d’extinction. Mais comme le montre Traffic, des escadrilles entières passent sous les radars.

L’appétit pour le crocodile du Nil

Très précis, l’inventaire dressé par Traffic montre que les exportations de la faune et de la flore africaines sont très diverses d’un bout à l’autre du continent. L’Asie se sert en reptiles vivants et en scorpions en Afrique de l’ouest, en anguilles en Afrique du nord tandis que l’Afrique méridionale exporte une vaste gamme d’oiseaux et de plantes, ainsi que des cargaisons de crocodiles du Nil. Au total, 41 pays africains (dont Madagascar) exportent leur faune et leur flore protégées vers 17 pays identifiés d’Asie.

Les peaux et la viande de crocodile du Nil sont à la base d’un commerce particulièrement lucratif, de mise dans de nombreux pays africains. Mais certains exploitent une espèce présente sur leur seul territoire (ou presque). Ainsi de la Namibie qui exporte les peaux de ses otaries à fourrure, ou le Gabon qui vend ses perroquets gris vivants.

Dix fois plus qu’en 2006

Pour certaines espèces, le cap du (dé)raisonnable a été clairement franchi. Il y avait quelque 8000 pythons royaux, tortues léopard et tortues à éperon vendus aux pays asiatiques en 2006. Il y en avait près de 80 000 en 2015. Évidemment incompatibles avec la bonne santé des espèces, ces prélèvements provoquent des effondrements démographiques comme chez les perroquets gris du Gabon, désormais interdits à la vente.

Si le continent africain se souciait de réguler ces circuits commerciaux, peut-être la situation pourrait-elle s’améliorer. Mais encore faudrait-il que la frénésie animalière de l’Asie se calme. Il n’en est rien. La vogue des animaux de compagnie exotiques n’y flanche pas, qu’il s’agisse de Singapour, de Hong Kong, du Japon ou de la Chine. Les reptiles et les amphibiens y sont particulièrement appréciés pour leur docilité dans des logements à la surface réduite. Si rien ne change, il y aura au bout l’extinction silencieuse de tout un pan du monde sauvage du continent africain.

La Rédaction (avec Jean-Denis Renard)