Uber à la conquête du marché nigérien ? Le carnet de route de Issa Aboubacar Abdou

[Africa Diligence] Lorsqu’on emprunte les grandes artères et rues de Niamey, un jour de semaine, on assiste avec stupéfaction au balai de véhicules et conducteurs aux comportements des plus loufoques. Motocyclistes, chauffeurs de taxis, de minibus (appelés « faba-faba » en langue locale), d’autobus, conducteurs de poids lourds ou particuliers, tous n’ont qu’un seul but : arriver à destination par tous les moyens.

Le premier constat, amer soit-il, réside dans le fait que la conduite est devenue extrêmement compliquée dans la capitale nigérienne. Et pour cause, depuis notamment la multiplication des véhicules en circulation (plus de 250.000 véhicules en 2016), favorisée par l’entrée des voitures d’occasions venues de l’Europe (plus de 45000 nouvelles immatriculations recensées par an).

A cela s’ajoute, l’étroitesse des voies ainsi que le manque de discipline de certains usagers. Ces usagers qui enfreignent sans état d’âme les consignes du code de la route occasionnant ainsi de multiples accidents et dommages collatéraux tant humain que matériel (plus 4000 décès recensés entre 2015 et 2016).

Plus en retrait, la dégradation de certaines voies principales favorise considérablement la fréquence des accidents et impacte fortement l’activité économique dans un pays où plus de 90% des échanges commerciaux transitent via le réseau routier en raison de son enclavement et l’absence de débouché maritime.

Un réseau routier en amélioration mais encore fragile

C’est l’une des principales conditions à l’installation d’une structure VTC (véhicule de transport avec chauffeur) dans le pays. Avec une superficie de plus de 1200 000 km2, le Niger figure parmi les territoires les plus vastes du continent africain. Couvert à deux tiers par le Sahara, il totalisait un réseau routier national de seulement 3000 km à l’accession de son indépendance en 1960.

Aujourd’hui, de gros investissements et programmes sont consacrés à la résolution de ce problème dont le plus marquant s’articule autour du projet Niamey Gnala (Niamey la coquette) initié par le gouvernement depuis 2011. Ce programme dont l’objectif principal est de redorer l’image des principales capitales régionales (huit) suit son cours avec une rotation des villes chaque année.

Il a en effet permis de redynamiser et d’augmenter les surfaces bitumées (plus de 20000 km de routes parcourables) notamment en milieu urbain.

Nonobstant tous ces investissements, des efforts restent à faire d’un point de vu national en général. La route dite de l’uranium qui relie Niamey au nord du pays, se distingue par sa vétusté sans égale surtout si l’on fait état des différentes potentialités minières qui l’arborent. Cette zone difficile d’accès, aux allures de « no-man’s land » laisse malheureusement place à des routes sommaires et pistes sablonneuses à perte de vue jusqu’aux portes du désert.

« On imagine mal comment une société de transport comme UBER pourrait s’installer ici diriez-vous ».

Un secteur porteur régulé par l’informel

Deuxième aspect des moins négligeables, la rude concurrence des sociétés de transports locales. Généralement fondées par des groupements privés ou richissimes familles, elles ont la particularité d’être étonnement bien organisées et financièrement rentables malgré le caractère informel de leurs activités.

Venant de tous les horizons et reliant toutes les destinations possibles, on dénombre près d’une cinquantaine de ces transporteurs. Les effectifs progressent d’ailleurs de façon exponentielle mois après mois. La prolifération de ce phénomène est devenue tellement banal et récurrent que tous les profils de clients peuvent s’y retrouver et ce, quel que soit leur pouvoir d’achat.

Fait toutefois déplorable, les conducteurs de ces véhicules sont souvent perçus comme étant les moins respectueux des signalisations et feux tricolores (seuls 6% d’entre-eux semblent s’y conformer).

Différentes associations et ONG pour la sécurité routière ont d’ailleurs vu le jour, suite à ces nombreuses infractions dans le but de davantage sensibiliser les populations et les autorités compétentes sur ce fléau grandissant.

Le revenu par habitant demeure un challenge

Malgré un taux de croissance évalué à près de 6% par la Banque Mondiale en 2016, le pays reste encore à la traine en matière de Produit Intérieur Brut (PIB) avec moins de 1000 dollars US par habitant.

Il faut d’autant plus préciser que le poste transport représente 13,01% du budget mensuel de chaque ménage, juste derrière les produits alimentaires.

A titre d’exemple, le coût moyen d’un déplacement en agglomération se chiffre à environ 0,45 centimes d’euro par personne. Pour les déplacements hors agglomération il faut compter environ 15 euros par personne.

Avec de tels indicateurs, il est impératif pour qui veut se lancer sur ce terrain de bien étudier sa cible et adapter son offre en conséquent. C’est une question de survie.

L’innovation suscite toujours bien des intérêts et attire les envieux dit-on. Certaines multinationales actuellement sur place ont certes des grilles tarifaires élevées mais la qualité de leurs prestations en vaut le détour.

Comme dit l’adage, la « qualité a un prix ». Les cibles potentielles bien qu’étant minimes peuvent constituer un véritable vecteur de croissance et de productivité – Qu’à cela ne tienne, il faut savoir au préalable les identifier et les convaincre.

Une connectivité et un accès à internet encore à parfaire

Un récent rapport de l’IUT faisait l’état des lieux de la pénétration de l’internet au niveau individuel sur le continent africain et dressait la liste des pays les plus connectés à internet.

Ce classement dominé par le Nigéria (47,4%), reléguait le Niger (2,2%) parmi les mauvais élèves avec le Tchad notamment pour la partie internet fixe. Le même constat est observé si l’on se concentre sur la partie internet mobile où moins de 2% de la population ont accès à une connexion via son téléphone portable, sa tablette ou tout autre objet connecté.

Ces statistiques dénotent véritablement le niveau de la fracture numérique qui reste un enjeu majeur malgré les efforts des instances de tutelles et l’augmentation des capacités par les acteurs du marché.

Or, pour faire du « UBER », il faut de la capacité et de la bande passante. Et à cela, seule une tranche relativement aisée et marginale de la population peut se vanter d’avoir ce privilège.

L’absence d’une fibre optique stable et de qualité, couplée à la non-libéralisation de l’internet fixe contribuent drastiquement à cet état de fait. Surtout lorsque l’on a connaissance des différents fournisseurs d’accès internet qui peuplent le marché mais qui peinent à élargir leur éventail de services faute de licence et d’autorisations.

Nul doute, que les transporteurs actuels ont encore de beaux jours devant eux…

Issa Aboubacar Abdou  
Représentant du Centre Africain de Veille et d’Intelligence économique au Niger