Gagner contre fraude et corruption dans les marchés publics africains

[Africa Diligence] Par Rigobert Pinga Pinga. La commande publique représente jusqu’à 20% du Produit Intérieur Brut (PIB) de certains pays africains et constitue la source de revenus majeure pour plusieurs PMEs et consultants locaux. Les risques de fraude inhérents à l’octroi et à l’exécution des marchés publics sont élevés. Comment les réduire.

Les risques de fraude liés à l’attribution et à l’exécution des marchés publics peuvent intervenir à chacune des étapes importantes de la procédure : depuis la rédaction du cahier des charges ou le choix de la procédure d’octroi des marchés, jusqu’à l’exécution et le règlement des prestations. L’implémentation rigoureuse de quelques mécanismes de contrôles détectifs et – surtout – préventifs permettrait de contenir ces risques à un niveau “raisonnable”. Revisitons-en quatre.

Lanceurs d’Alertes

La crainte d’être dénoncé ou démasqué constitue un outil de dissuasion de premier ordre. L’efficacité de ce système repose essentiellement sur la qualité de la gouvernance ambiante, c’est-à-dire l’environnement de contrôle, dont les principaux critères d’appréciation incluent l’appétence des responsables ministériels ou des services décentralisés pour les dispositifs de contrôle efficace, l’adhésion de tous au code de déontologie, l’existence d’un système de sanction craint et respecté, un service d’audit interne de qualité, etc. Par-dessus tout, la protection des lanceurs d’alertes est la condition sine qua non pour la réussite de ce mécanisme de contrôle. Pour lui assurer indépendance et objectivité, il serait judicieux d’opter pour l’externalisation du service de recueil d’alertes auprès de firmes dédiées, de bonne réputation, triées sur le volet.

Exclusion des Marchés

Cette solution a produit et continue de produire des résultats positifs, bien qu’en apparence mitigés. La réputation nationale, régionale et même continentale constitue le risque majeur pour les entreprises qui se livrent aux pratiques douteuses. La publication du nom des organisations fautives sur une liste noire et leur exclusion temporaire ou définitive des futurs marchés publics affectent durablement leur « respectabilité » aux yeux de la communauté. Cependant, cette solution n’est véritablement efficace que si les entreprises ou consultants indexés ne se retrouvent pas sur de nouvelles lignes de départ avec… des noms d’emprunt. Un système de surveillance permanente peut aider à renforcer ce mécanisme.

Veille Permanente

Couplée avec l’exclusion des marchés, la mise en place d’un système permettant d’identifier les liens possibles entre les entreprises soumissionnaires – source de collusions préjudiciables –, les ramifications possibles entre ces entreprises et celles de la liste noire, entre autres, peut davantage aider à dissuader les pratiques peu recommandables. En plus de l’utilisation d’un identifiant unique par soumissionnaire, un moyen efficace est l’exploitation par comparaison, croisement des données pertinentes telles que les adresses postales et physiques, les numéros de téléphone, les noms de principaux dirigeants et par extension leur réseau, les noms, prénoms et autres identifiants des décideurs publics, les numéros et domiciliations des comptes bancaires, etc. Les signaux d’alerte prédéfinis peuvent être captés et communiqués presqu’en temps réel dans un tableau de bord dédié. La réussite d’un tel programme repose sur quatre piliers : i) les moyens technologiques, ii) la méthodologie utilisée qui peut requérir le développement d’algorithmes complexes, iii) l’aptitude du personnel en charge de son exécution et, enfin, iv) un système de communication efficace entre les différentes autorités contractantes – notamment les administrations décentralisées – qui permet de centraliser toutes les données nécessaires à la veille permanente.

Mining des Dépenses

Lorsqu’il est bien réalisé, le data mining des dépenses, à temps réel ou a posteriori, permet d’identifier des pistes d’investigation de fraude ou de corruption. C’est une technique qui a pour objet l’extraction des connaissances ou perspectives à partir d’une base importante de données. Par exemple, le simple profilage des contrats permet d’identifier ceux qui présentent des avenants systématiques, les marchés dont les montants sont aux portes des seuils fixés par le Code, les procédures de passation de marché les plus usitées par une entité administrative, les dépenses agrégées par fournisseur, des cas de sous-traitance à des entités ayant soumissionné aux mêmes marchés, des cas de multiples paiements, etc. Tout comme la veille permanente, l’efficacité de cette solution nécessite des moyens technologiques, méthodologiques et humains.

Malgré de gros efforts investis notamment dans la refonte organisationnelle et la modification des codes des marchés publics, force est de constater que les procédures de contrôle faillissent au niveau tactique et pèchent quelque peu à prévenir ou détecter les indices élémentaires de fraude et de corruption à tous les niveaux du processus de passation et d’exécution des marchés publics. Bien sûr, la mise en œuvre ou le renforcement des contrôles dissuasifs et détectifs proposés ci-dessus peut nécessiter d’importants investissements, notamment sur leurs volets technologique et humain. Par conséquent, la valeur ajoutée et le gain d’efficacité attendus devraient guider la prise de décision. Mais comme nous le soulignons au CAVIE, la réussite de tels mécanismes est tributaire d’un système de gouvernance efficace, à tous les niveaux de nos organisations publiques.

Rigobert Pinga Pinga
Président de la Commission Audit et Compétitivité