Pour une intelligence stratégique opérationnelle & territoriale – Par P. SCHOCH

Les besoins en informations et la gestion cyclique qui en découle relèvent généralement du sommet hiérarchique d’une organisation. L’efficacité d’un processus d’intelligence stratégique doit nécessairement impliquer l’ensemble des services d’une organisation.

Une Intelligence Stratégique souvent hautement hiérarchique

La gestion de l’information au sein d’une organisation relève essentiellement des parties supérieures de l’organigramme. Le sommet hiérarchique, avec le soutien opérationnel de sa ligne hiérarchique, définit les objectifs stratégiques et opérationnels. Il oriente ainsi automatiquement les besoins en informations utiles.

Lui sont ainsi rattachées, les cellules de veille liées aux fonctions de support (Exemples : veille juridique, relations presse, communication externe, gestion de crise, veille en R&D). Les fonctions supports calibrent, quant à elles, la planification stratégique et la méthode.

Le centre opérationnel est cependant rarement cité comme un élément moteur à une démarche d’intelligence stratégique ou d’intelligence économique. Sans remettre en cause les définitions existantes, tout semble fonctionner comme si cette démarche relevait exclusivement des organes hiérarchiques et supports de la structure.

Un rôle majeur

L’approche opérationnelle et territoriale a cependant un rôle majeur à jouer pour optimiser la proactivité de l’organisation dans son environnement.

Depuis les années 1970, en effet, un certain nombre de chercheurs ont mis en exergue l’importance de l’être humain comme source d’information utile (CLELAND & KING, 1975). Si à cette époque, la notion d’intelligence économique n’en est qu’à ses balbutiements (WILENSKY, 1967), l’intérêt du positionnement stratégique de l’entreprise n’en reste pas moins fondamental.

W.J. KEEGAN a démontré que 67 % des informations avaient une origine humaine (KEEGAN, 1974). Bien que le développement de l’Internet et des réseaux sociaux virtuels ait, depuis,apporté une nouvelle donne dans la recherche d’information, il apparait que le rôle des fonctions opérationnelles sur le terrain pouvait être décisif. Ces fonctions, comme les forces de vente, ont un contact fréquent avec les clients et les concurrents, et ont ainsi une position stratégique pour collecter ces informations clés extérieures.

En 1981, R.A. THIETART et R. VIVAS ont déterminé un certain nombre de recommandations pour améliorer l’efficience de la remontée de l’information environnementale par les forces de vente. Selon ces chercheurs, la qualité nécessaire à cette proactivité est la rapidité de la communication de l’information en tenant compte des caractéristiques individuelles des individus.

Si ces références sont loin d’être récentes, il n’en reste pas moins que la motivation des individus est la clé de voûte pour s’assurer d’un reporting régulier et fiable l’information utile. Joël Le Bon a rappelé, en 2006, que « la contribution des commerciaux aux activités d’intelligence économique de leur entreprise repose sur l’importance conjointe de leur motivation et de leur attitude envers cet aspect de leur fonction.

Il souligne ainsi le rôle clé des managers dans la structuration d’un contexte organisationnel approprié. A ce titre, s’il est important de stimuler et de louer les efforts de veille des commerciaux, il est également nécessaire de leur faire comprendre et de leur faire aimer cet aspect de leur fonction. La construction et le maintien d’une culture de veille et d’éveil sur l’environnement au sein des entreprises est à ce prix » (LE BON, 2006).

Une réponse à la détection de signaux faibles

L’implication des forces de vente, et in fine, de toutes les fonctions opérationnelles et territoriales, pourrait constituer une réponse à la détection de signaux faibles dans l’environnement d’une organisation. Ces signaux faibles constituent des informations infimes qui, mises bout à bout, permettent de détecter une menace ou une opportunité pour l’activité de l’organisation.

Nous pouvons, ainsi envisager de compléter la notion d’ « Intelligence Stratégique » par la définition d’une « Intelligence Stratégique Opérationnelle et Territoriale » (I.S.O.T). Cette dernière pouvant être définie comme :
–  L’utilisation stratégique, opérationnelle et territoriale des pratiques informationnelles de veille, de protection et d’influence,
–  par la mise en commun de ressources matérielles et humaines,
–  en vue de capter de manière proactive tous les signaux faibles,
–  pouvant permettre l’atteinte des objectifs de l’organisation, quelle que soit sa finalité intrinsèque.

Si cette notion conserve le mot « intelligence », souvent incompréhensible par les profanes, son objectif est de promouvoir, de manière pragmatique, des démarches essentielles auprès de fonctions très opérationnelles. Cette I.S.O.T. doit néanmoins être accompagnée d’une approche innovante dans le cadre de l’élargissement de la vision d’une organisation. L’intégration d’une « vision périphérique » fera l’objet du prochain billet sur ce blog.

Source : Lesechos.fr

Bibliographie

CARBONNEL, F., & DORRANCE, R. (1973, Summer). Information sources for planning decisions. California Management Review N°4, p. XV.

CLELAND, D., & KING, W. (1975, december). Competitive business intelligence systems. Business Horizons.

HUFF, A. (1977, November). Secrecy and transparency in interorganizational relations. UCLA, Joint National ORSA/TIMS Meeting.

KEEGAN, W. (1974). Multinational scanning : a study of the information sources utilized by headquarters executives in multinational companies. Administrative Science Quaterly, p. 19.
LE BON, J. (2006). La force de vente et les activités d’intelligence économique. Revue française de gestion- n°163, pp. 15-30.

MARTRE, H., HARBULOT, C., & CARAYON, B. (2012, 28 septembre). Définitions de l’I.E. Consulté le 28 septembre, 2012, sur Portail de l’I.E. : http://www.portail-ie.fr/fondamentaux/definition/definition.html

MINTZBERG, H. (1982). Structure et dynamique des organisations. Les éditions d’organisation.
ORGAN, D. (1971, December). Linking pins between organizations and environnements. Business Horizons.

PRAHALAD, C. (1995, August). Weak Signals versus Strong Paradigms. Journal of Marketing Research, pp. iii-vi.

THIETART, R., & VIVAS, R. (1981). Strategic Intelligence Activity : The Management of the Sales Force as a source of Strategic Information. Strategic Management Journal, Vol.2, pp. 15-25.

WILENSKY, H. (1967). Organizational Intelligence : Knowledge and Policy in Government and Industry. Basic Books.

Patrice SCHOCH